Callum & Florent

Une autre longue journée venait de tirer à sa fin. J’étais complètement éreinté, dépouillé de toute l’énergie qu’il me restait. Nous achevions les derniers préparatifs avant l’ouverture officielle du cabinet. Même s’il s’agissait d’une branche d’un cabinet déjà existant, il n’en demeurait pas moins que son ouverture était une tâche colossale. Bien plus demandante que ce à quoi je m’attendais. J’étais néanmoins honoré et fier d’être associé dans ce cabinet et de contribuer à son succès. Parce que s’il y avait bien une chose qui me faisait plaisir dans cette vie monotone, c’était ma réussite professionnelle.

Je retournai à ma chambre d’hôtel pour y faire une petite sieste. C’était l’une des rares journées où je terminai avant le coucher du soleil. N’étant pas habitué de me coucher tôt, j’optai plutôt pour un court repos, question de me ressourcer rapidement avant d’aller profiter de la soirée en ville. Je venais tout juste de revenir à Leeds; j'avais beaucoup d'endroits à redécouvrir. Je ne voulais pas faire les mêmes erreurs qu’à Londres, c’est-à-dire me renfermer et me laisser mener par une femme qui avait fait de moi une personne complètement isolée et seule. Je voulais, pour une première fois, vivre ma vie, et ce, à ma façon. Je m’étais ainsi promis de sortir, de profiter des grosses soirées en ville, de faire la tournée des bars, de rencontre des gens, boire et m’amuser. Car après tout, on n’a qu’une seule vie à vivre. J’avais perdu des années de la mienne à vivre pour mon père puis pour une femme qui n’en valait pas la peine. Il était désormais temps que je vive pour moi. Que j’accomplisse mes propres buts. C’était ce que je m’étais promis en acceptant ce nouveau poste. Peut-être aurais-je une plus grande charge au travail, mais j’aurais également une plus grande liberté personnelle. Et ça, c’est un sacré beau cadeau.

Je dormis deux petites heures. Ce fut suffisant pour me revigorer. Je me levai et allai prendre une douche. J’enfilai ensuite un jeans, un chandail à manches longues rapido-presto. J’aspergeai mon cou d'une brume de parfum et nouai mes cheveux en une toque. Je quittai par la suite ma chambre d’hôtel pour me rendre à un bar. Leeds regorgeait d'une variété de bars les plus différents les uns que les autres. Et n’ayant aucun ami en ville, je m’étais donné comme défi d’en visiter le plus possible. Pourquoi ne pas sortir avec mes collègues me diriez-vous? Parce qu’ils sont tous dans la cinquantaine avancée et ont mieux à faire que de se saouler avec un petit jeunot comme moi. La partie difficile dans mon travail était le respect qu’on faisait semblant me donner. Ce n’est pas tout le monde qui accepterait de se faire dicter les « ordres » par un homme de trente ans son cadet. J’osais espérer que les futurs associés dans le cabinet seraient plus jeunes, plus dynamiques. Mais pour le moment, j’étais seul et je devais m’amuser seul. Après tout, il n’y a rien de mal à sortir dans les bars en solo!

Je mis mon GPS et me rendis à un bar que j’avais trouvé en ligne. Les commentaires étaient très bons et apparemment, l’ambiance était top. Le chemin ne fut pas trop long. Je garai mon véhicule dans la rue, tout près de l’entrée du bar. La vibration de la musique se faisait entendre jusqu’à l’extérieur. Je m’empressai d’y entrer, non sans prendre le temps d'admirer la balustrade colorée. L'immense bar était bondé de gens qui dansaient, parlaient et buvaient. Les femmes étaient toutes aussi belles les unes que les autres. Déjà là, je pouvais affirmer que j’adorais cet endroit. Quel homme ne voudrait pas sortir là où il y a des belles femmes! La première chose que je fis en entrant - autre que d’admirer les délicieuses courbes d’un groupe de femmes qui dansaient - fut de prendre place au bar. Je fis signe au barmaid, un grand brun au allure d’un mannequin, afin que ce dernier prenne ma commande. « Je te prendrais un gin tonique », lui demandai-je. J’avais envie de commencer la soirée en douceur… pour mieux la finir.

©junne.

Callum & Florent

Lorsque mes lèvres se déposèrent sur le verre dans lequel reposait le délicieux élixir, j’eus littéralement un orgasme buccal. Ce gin était, en toute honnêteté, le meilleur gin que j’avais eu l’honneur de goûter. « Ce gin est in-cro-ya-ble! », lançai-je au barmaid qui venait tout juste de me le servir. Au même moment, une jolie blonde attira mon regarde. Je tournai lentement sur ma chaise pour suivre son déhanchement jusqu’à la piste de danse. Sa petite robe noire épousait parfaitement ses généreuses courbes. J’hésitais à savoir si je me lèverais pour aller la rejoindre à la piste de danse dans le but de l’aborder. Toutefois, je n’avais pas foi en mes capacités de danseur ni confiance en mon impulsivité. Les chances étaient que j’allais arriver près d’elle puis causer un moment tout à fait malaisant. C’était beaucoup plus simple lorsque je n’étais pas le premier à engager la discussion. Je m’en sortais beaucoup mieux lorsque les femmes m’abordaient en premier. Je n’étais pas particulièrement un maître dans les relations interpersonnelles. Toutefois, lorsque la glace était brisée, que les premières phrases avaient été échangées, je me sentais beaucoup plus à l’aise, beaucoup plus en mesure d’être moi-même. Lorsque je quittais mon lieu de travail, je me renfermais dans mon cocon. Je perdais mon assurance et ma confiance. C’était comme si à chaque fois que je fermais la porte de mon bureau, je retournais à la case départ. Je redevenais ce petit garçon insécure et renfermé qui ne savait rien faire d’autre que d’étudier et jouer du piano. J’étais confiant, jadis. Il eut un temps où j’allais parler aux femmes sans problème, commençais à avoir un bon cercle d’amis. Mais cette période de ma vie ne fut que d’une courte durée. On ne me permit que quelques courtes années d’extraversion avant de me renfermer dans cette prison psychologique. Toutefois, la différence était que cette fois-ci je n’y avais pas été qu'enfermé; j’y avais été torturé. Torturé par des paroles blessantes qui avaient laissées des plaies béantes sur l’ensemble de mon corps. Elles peinaient à guérir et encore aujourd’hui, la douleur me faisait gémir. J’avais donc encore peur de retrouver la liberté, de revoir la lumière après tant de temps à la noirceur. C’était comme réapprendre à voler après s’être brisé un aile. Tout récemment, j’avais réussi à prendre mon courage à deux mains, à vaincre mes peurs en invitant à prendre un verre une jolie jeune femme que je croisais fréquemment les matins au rez-de-chaussées de l'édifice dans lequel était situé mon cabinet. J’avais eu le droit à un non, quoique adressé poliment. Évidemment, ma confiance déjà fragile en fut davantage ébranlée. Aurais-je pu encore une fois faire face à un rejet? Non, je ne crois pas que j’aurais pu l’encaisser. Reprendre confiance en moi allait être l’étape la plus difficile de ma vie. Et le pire dans tout ça, c’est que probablement la majorité des gens croyaient que c’était la chose dont je ne manquais pas.

Mes pensées furent couper par la voix du barmaid qui avait décidément remarqué que je reluquais la petite blondinette. Son commentaire me fit rire et me soulagea à la fois. Il mit fin à mon hésitation; je ne me lèverais donc pas de ce tabouret. Je me retournai pour être face à lui. Il me semblait être un homme fort sympathique. Je sortis mon portefeuille et lui tendis de l’argent. « Allez, deux autres gins toniques. Un pour moi, et un pour toi », lui dis-je en lui tendant deux billets. J’ignorais s’il était en droit de boire avec les clients, mais je sentais qu’il serait beaucoup plus divertissant de boire avec quelqu’un. Peut-être mon geste semblait-il être désespéré, mais j’avais besoin de m’éclater ce soir et ce n’était pas en me remettant en question que ce fun allait se manifester.
« À la tienne et aux belles femmes! », lui lançais-je en rigolant. Nos verres s'entrechoquèrent et je pris une bonne gorgée de mon gin qui traça trop rapidement son chemin de mon oesophage jusqu'à mon estomac. La soirée s'annonçait être bonne.  

©junne.