il est rare pour nana de faire cela. ne pas être dans la rue. être chez quelqu'un. il avait réservé sa nuit. elle était à lui et lui seul jusqu'à l'aube. ce n'est pas dans ses habitudes, à nana. elle, elle n'est pas une escort. ou même, elle est une fille de la rue. elle effectue des passes dans une voiture, dans le coin d'une rue. parfois, dans une chambre d'hôtel miteuse. parce que, nana, elle ne côtoie pas les riches anglais. pas toujours. et cette fois, la soirée sera différente. cette fois, elle doit se rendre à leeds. grâce à cette nuit, elle pourra s'offrir quelques soirées de congés. une pause bien méritée. et, autant dire que nana en avait besoin. du repos, du calme. alors, nana, elle se traîne jusqu'à l'adresse indiquée. impatiente d'en finir avec cette nuit. pressée de retrouver ses draps, le confort de son appartement. aussi lugubre puisse-t-il être. nana, elle s'y sent bien. elle s'y sent en sécurité et c'est le plus important, à ses yeux.
la soirée est déjà avancée. nana est silencieuse. elle ne dit rien, c'est ce qu'elle doit faire. de toute façon, avec cet anglais plus que médiocre, c'est à peine si elle comprend ce que les hommes se disent. nana, elle se contente de sourire. un sourire forcé mais qui paraît naturel. nana, elle laisse les mains baladeuses parcourir son corps. parfois, il y a même quelques insultes qui arrivent à ses oreilles. parfois, il y a des regards un peu trop lourds. mais, elle sourit. encore, toujours. faisant mine de ne pas comprendre, idiote. être belle, désirable et se taire. nana, elle n'est pas à l'aise. elle n'a pas l'habitude. elle, elle est l'exclusivité d'une seule personne, habituellement. elle, elle ne reste pas plus d'une heure avec le même homme normalement. nana, elle comprend la moitié de la conversation. des discussions d'affaires. aussi légales que son métier. c'est peut-être à cause de la barrière de la langue et le fait qu'elle ne puisse rien répéter que l'hôte l'avait invité. parce qu'il la connait. un client régulier. pourtant, à son doigt d'apollon s'était installée une bague. une alliance pesant le prix de plusieurs livres. plus que tout l'argent que nana pourrait récolter en une vie. nana, souriante. idiote enfant qui reste silencieuse. un mannequin, une poupée. celle là, elle ne dira rien. de toute façon, elle comprend à peine ce qu'on dit. n'est-ce pas ma jolie ? il marque une pause. nana, elle est assise à côté de lui. place d'honneur à la droite du patron. le pervers qui dépose sa main sur la cuisse de la russe. devenant plus entreprenant. la salope est à votre disposition. dit-il dans un clin d'oeil. franchement, celle-là, elle vaut de l'or. le pervers qui se lève. puis, d'une main, attrape la gorge de nana. la mettant sur ses deux jambes. il la tient fermement. si bien qu'elle manque d'oxygène, nana. regardez. il plonge son regard dans celui de la russe. elle, elle se tend. parce que sa joue rencontre la main de l'hôte. gifle violente qui pousse la brune à terre. et en plus, elle ne bronche pas, la salope. nana, au sol, la main sur sa joue rouge. marquée de cinq doigts que l'on distingue facilement. toujours silencieuse. 

Encore une soirée de merde. Avec des gens de merde. Des poignées de mains hypocrites, des rires forcés, de la magouille dans l’air. Et cette fumée qui empesterait encore ses fringues trois jours après. Il voyait déjà les boites de cigares hors de prix sortir de la poche intérieure de leur veste de costume. On pourrait presque croire qu’ils jouent à démontrer qui a la plus grosse. La boite de cigares. Bien sur… Un étalage d’argent, de business pas vraiment nets, de la mise en place d’un réseau tout ce qu’il y a de plus malsain. Orion ne pouvait guère cataloguer ce genre de soirées comme représentatif de son quotidien, mais il flirtait dangereusement avec le statut d’habitué. Le jeune homme effleurait sans cesse cette limite invisible qui le démarquait de tous ces voyous, n’étant qu’à un pas de sombrer, d’intégrer leurs rangs pour de bon. Si les premières fois ce n’était que pour avoir un oeil sur son père et le type de relations qu’il pouvait entretenir à ce genre de réunions, il y assistait désormais déchargé de toute présence paternelle. Orion avait vite acquis les codes, les règles, l’étiquette de cette élite du crime. C’en était presque naturel. Peut-être l’était-ce ? Après tout, le jeune homme n’était pas la définition même d’un type recommandable, loin de là… Il en était conscient. Il arrivait souvent à se persuader qu’il ne méritait pas mieux que de trainer parmi ce genre d’individus…
Pourtant y’en avait toujours quelques uns desquels il se savait ô combien différent ! Comme ce mec dans le fond, qui parlait fort, entre deux toux grasses attestant de sa consommation de tabac. Celle là, elle ne dira rien. de toute façon, elle comprend à peine ce qu'on dit. n'est-ce pas ma jolie ? Quelques hommes étaient déjà regroupés autour de lui. La curiosité d’Orion avait été piquée. La salope est à votre disposition. Ses propos interpellèrent encore davantage le jeune homme qui se faufilait, son verre de cognac à la main, vers le centre de l’attention. Franchement, celle-là, elle vaut de l'or. Un oeil vers l’intéressée. Orion n’était pas dupe. Très peu de femmes étaient conviées à ce genre de rendez-vous, pour ne pas dire aucune. Toutes celles qui s’exhibaient aux bras de sales bourges de son acabit appartenaient toutes à la même catégorie : des putes. Fallait pas avoir de tact quant à la façon de les nommer. Elles faisaient des choses justifiant un titre bien moins valorisant, parfois. Et puis, comment appelait-on une nana qui se faisait tripoter comme celle qui ne mouftait pas alors que le mec remontait ses doigts boudinés le long de sa cuisse. Sauf qu’il ne se contenta pas de laisser aller ses idées libidineuses à travers ses mains baladeuses. Non. En une seconde la brune était soulevée a quelques centimètres du sol, pareille à une poupée de chiffon, sa gorge enserrée dans la main de son patron pour la soirée.  Regardez. Le petit groupe était comme suspendu à ses lèvres, ne perdant pas une miette de ce spectacle. Sans grande surprise, il lui décolla une gifle qui la projeta au sol. Et en plus, elle ne bronche pas, la salope. Ouais, ça l’avait pas surpris, Orion. C’était pas des enfants de choeurs, tous ses hommes qui riaient en méprisant la jeune femme au sol. Lui non plus il en était pas un, pourtant l’envie furieuse de coller son poing dans la figure du type qui venait de lui faire ça, c’en était presque irrépressible. Mauvaise idée - se persuada mentalement le jeune homme alors que la jointure de ses mains blanchissait, à trop serrer ce poing. « La jackpot que tu nous a ramené là, Diego… Tu partages j’espère ? » C’était pas vraiment une question. Il s’approcha de la fille. « Toi, tu me suis! » Il lui avait presque craché à la gueule, alors qu’elle était encore à ses pieds. On faisait pas dans la dentelle par ici, et si elle voulait éviter de s’en manger une autre, elle ferait mieux de saisir la perche qu’il lui tendait…  

nana, elle peut paraître vide. dénuée de tout sentiment, insociable et peu bavarde. son père, il lui a appris. à ne rien dire, seulement sourire. nana, elle ne sait faire que ça. recevoir les coups, rester muette. une coquille vide qui ne verse jamais de larmes. une âme égarée, perdue dans les lointains nuages. elle a toujours été ainsi, nana. elle n'a pas eu le choix. et si son arrivée à dewbury aurait pu la changer, il n'en a pas été ainsi. la soirée se déroule comme elle l'avait imaginé. magnifique pot de fleurs aux côtés de l'hôte de la soirée. homme qui se permet de la caresser dans un premier temps. homme qui expose son trophée à la vue de ses semblables. lui, il ne l'a dégoutte pas, nana. parce qu'elle ne perçoit pas l'homme malsain. elle a bien trop l'habitude de ce genre de personnes. nana, elle est innocente. l'innocence dans ses yeux qui se voit. elle écoute. tente de comprendre les discussions qui fusent. autour de cette table où elle est installée. nana, c'est à peine si elle comprend d'où parvient cette gifle. main qui caresse son visage d'une force déstabilisante. au point qu'elle en tombe, nana. elle s'écroule à terre, se massant la joue. elle ne se rebelle pas. elle reste seulement silencieuse. la russe qui entend les rires des invités, de l'hôte aussi. hommes mesquins. elle pourrait leur dire qu'ils ne sont que des cons. mais, nana, elle dirait adieu à ses billets. ceux qui l'attendent patiemment dans la poche intérieure du connard. pas d'avance, elle doit faire la soirée entière. un contrat non-officiel signé avec le vieille homme. vieux, parce qu'il a certainement le double de son âge. comme tous les autres, ou presque. « toi, tu me suis! » elle ne l'avait pas entendu, nana. elle ne l'avait pas vu s'approcher d'elle non plus. l'homme au regard perçant. alors, sage enfant, elle se lève. de toute façon, elle est là pour ça. écouter quiconque lui donnera un ordre. écarter les cuisses pour eux. tous, autant qu'ils voudront. elle s'aide de ses bras pour décoller ses fesses du sol. femme fragile, fébrile. la gamine qui sourit. malgré la douleur de sa joue. comme si un incendie s'était déclaré. elle s'embrase, sa joue.  
ils arrivent dehors. douce ambiance de la saison qui fait hérisser les poils de la russe. il fait froid à présent. surtout dans cet accoutrement. nana, ridicule prostituée. ça se lit sur son visage. comme si son emploi était inscrit au fer rouge sur son front. parce qu'elle est provocante. peu naturelle. et pourtant si belle lorsque c'est le cas. nana, elle s'assied sur les marches du perron. étonnée qu'il l'ait amené là, le garçon. étonnée qu'il veuille la désirer dehors, à la vue de tous. et même des voisins. nana, elle sort une cigarette de la pochette prise au passage. -parce qu'au moins, elle est certaine d'être protégée avec ça. sortez couvert les enfants. « que puis-je faire pour vous ? » dit-elle alors en plantant son regard dans celui de l'inconnu. des yeux déstabilisants pour la russe. la carrure du garçon qui la glace. elle tire une bouffée de sa cigarette. s'octroyant une pause avant de devoir passer à l'action.

Ce spectacle, tout ça, tout ce vice, toute cette racaille, c'était vraiment à gerber. Ce monde n’était que raclure. J’appartenais à ce monde. A vomir. Tout ce petit comité était à vomir. Et je le composais. J’avais même plus à prouver ma crédibilité au sein de ce système bien rodé. Des fois je me disais que je valais pas mieux qu’eux, toute cette ribambelle de voyous. J’étais du même acabit. Et cette nana, j’aurais tout aussi bien pu la trainer dehors pour me la faire contre le mur. Il n’y avait rien pour m’en empêcher. Certainement pas un de ses gars qui se rinçaient l’oeil alors qu’elle gisait lamentablement, par terre. Même ma bonne conscience était aux abonnés absents en ce moment. J’aurais pu aisément me laisser aller à mes vilaines habitudes, mais ma part de lumière qui tentait de survivre parmi toute cette ombre avait eu raison de moi. Si le ton employé auprès de la jeune femme n’était guère engageant, l’acte qui se cachait derrière se voulait salvateur. Lui offrir quelques minutes d’accalmie, si cela était possible dans ce monde de brute, de sexe et de violence. Ca devrait surement lui changer de son propre monde, à elle. Ouais. C’était certainement pas tout rose non plus par chez elle. Elle avait encaissé cette gifle sans un mot, sans un bruit. Elle devait pas être à son coup d’essai. Elle avait certainement vu pire. Ca rendait pas tous ces actes moins répréhensibles. Bien au contraire.

Elle suivit le mouvement, sans grande surprise. J’étais pas certain qu’elle comprenait tout ce qui se disait autour de nous. Ni même ce que moi je disais. Elle se contentait de se relever sans un regard pour me suivre, docile petite fille. Ca m’apportait aucune fierté, tous ses regards suivant notre ascension vers la porte d’entrée. Y’en avait qui me lançait des regards envieux, d’autres qui me félicitaient d’un pouce vers le haut. Ca se lançait presque les paris sur le temps que j’allais tenir avant que je vienne en elle, quelque soit l’orifice. J’ignorai la tape sur l’épaule de l’un de mes camarades pour ouvrir la porte puis la refermer derrière elle, cette fille, nous protégeant enfin de tous ces regards pervers et insidieux. L’hiver avait presque achevé son voyage pour Dewsbury. La buée qui sortait de ma bouche pouvait témoigner de son arrivée imminente. Sans un mot, la brune, interdite, vint s’assoir sur les marches glacées du perron. Elle sorti une cigarette de sa pochette puis l’alluma. Ce ne fut qu’après avoir expiré la fumée dans sa direction qu’elle planta son regard dans le mien. Pour la première fois j’entendis sa voix dont les accents russes étaient aisément perceptibles. « que puis-je faire pour vous ? » Ca m’aurais presque arraché un rire si ça n’était pas consternant tant d’obéissance dans une si petite personne. Je sortais à mon tour un paquet de clope, en attrapant une au passage, la coinçant entre mes lèvres. Je m’accroupissais à sa hauteur, veillant à ne pas rompre ce contact visuel qu’elle avait tenu à établir. J’étais plus qu’à quelques centimètres de son visage, maintenant. « Tu me l’allumes ? » A défaut de m’allumer...