Sagement assise sur le canapé du salon, Shannen entrouvre les cuisses pour laisser la tête du blond se soutenir au rebord du fauteuil. Elle bloque son torse en enroulant ses jambes autour de lui, tandis qu’il est posé au sol, au pied du canapé. Shannen écoute attentivement la mélodie qui s’échappe de la guitare, vivement sollicitée par les grands doigts de son amant. Elle se laisse bercer par les notes indie folk qui retentissent dans la pièce, une main fourrée dans ses cheveux blonds ébouriffés pour le caresser et lui apporter une dose de tendresse inévitable. Elle esquisse un sourire sur son visage, provoqué par la douceur de sa chevelure, de son âme, mais surtout parce qu’elle se délecte de ses chants rauques. Elle resserre son emprise contre ses épaules, laissant ses pieds fins dépasser. Leur proximité, la complicité qui émane de cette demi-étreinte la comblent de gaieté. Elle ne cesse jamais de frôler sa nuque du bout des doigts, avec une délicatesse qui saura apaiser son blond. Pourtant, la mélodie se coupe, et elle voit la tête du blond se pencher en arrière, pour se poser plus amplement contre le canapé, contre ses cuisses. Elle caresse ainsi son visage renversé, dévorant ses traits inspirés des yeux. Il lâche sa guitare d’un bras pour le recourber en arrière et effleurer sa jambe avec douceur, ce qui forme immanquablement un sourire contre ses lèvres. Elle le regarde avec amour, avec un sourire aimant incrusté sur sa bouche.  « Mon médiator est abîmé, tu irais pas m’en chercher un autre dans le tiroir du haut s’il te plaît ? » Son regard malicieux et enfantin est tout aussi irrésistible que le sourire qu’il lui lance. Elle sourit à son tour avant de poser ses deux mains autour de son visage à l’envers, et de se pencher jusqu’à ses lèvres pour l’embrasser avec douceur. Elle le libère de son emprise, se faufile jusqu’à la chambre et fouille dans le tiroir indiqué. Elle ne trouve rien, cherche dans l’autre et tombe plutôt sur une enveloppe bien particulière. Elle ressemble à celle qu’on envoie chaque fois à son domicile, d’un inconnu, qui contient une somme d’argent qui permet à Shannen de manger à la cantine et de prendre des cours de gymnastique (maintenant de patinage artistique). Une longue enveloppe rectangulaire et blanche. Elle l’observe attentivement, plutôt attirée par une marque bien présente sur ce bout de papier : le timbre, assez simpliste. Certainement trop curieuse, elle regarde à l’intérieur et y découvre des billets. Elle les compte, atteint le compte qu’elle reçoit chaque mois. Son cœur rate une pulsation, et le souffle délicat qui enveloppait son âme devient une tempête saccageant l’intérieur de sa poitrine. Elle garde l’enveloppe dans sa main, les yeux pointant toute sa tristesse par quelques larmes qui restent coincées, puis elle retourne dans le salon. « J’ai pas trouvé ton médiator. » Elle le prévient en jetant un regard froid pour percuter le sien. Son cœur prend un rythme endiablé sous le coup de l’adrénaline. Elle tend l’enveloppe en l’air pour que son regard croise l’objet de ses tourments. « Mais… c’est quoi, ça, Ciaran ? » Son ton est plus sec qu’elle ne l’aurait souhaité.

Seuls dans l’appartement, le jeune couple profite d’un moment innocent au sein de salon. Installé entre les cuisses de sa petite amie, qui se tient sur le canapé alors qu’il a pris place sur le tapis, il gratte sa guitare pour laisser de douces mélodies s’échapper de son instrument. Concentré, il lui offre un concert privé en usant de son talent pour divertir la jeune adolescente tout en lui faisant connaitre un nouveau morceau. Il est concentré, se laisse caresser par les fins doigts de Shannen qui applique des actions tendres dans sa nuque, sa chevelure. Il ne se lasse pas de ces touchers, mais tandis que son médiator glisse sur les cordes de son instrument, il sent comme un raclement qui le dérange. Alors, il fait une pause dans sa prestation, observe l’objet avec attention, mais constate qu’il est abimé. En conséquence, il penche la tête en arrière pour plonger ses prunelles océan dans celles de l’adolescente. « Mon médiator est abîmé, tu n’irais pas m’en chercher un autre dans le tiroir du haut s’il te plaît ? » Il ne se sent pas le courage de se lever par flemmardise, alors il use de ses talents de séducteur pour inciter la demoiselle à y aller à sa place. Il ne doute pas qu’elle en a conscience. Il se laisse embrasser, savoure la caresse douce et humide de ses lèvres contre les siennes avant de la laisser s’échapper. Il l’observe avec un sourire orné sur ses lèvres alors qu’il attrape une de ses partitions pour la relire, y apporter quelques arrangements qui lui viennent en tête. Il patiente jusqu’au retour de l’adolescente et quand il la sent arriver, plonge son regard dans le sien. La froideur qu’il y trouve le surprend. Que se passe-t-il ? Il n’a pas le temps de s’exprimer que la raison se dévoile. Lorsqu’il voit l’enveloppe apparaitre sous son regard, son teint devient plus blême. Il prend conscience que l’adolescente a conscience de sa participation financière depuis plus de trois ans, que cette enveloppe lui a révélé. Il ne peut la duper, ni ne le désire. Il avait bien prévenu son ami qu’il s’efforcerait d’être discret, mais qu’il ne mentirait pas. Indirectement, en n’en faisant pas mention, en la dissimulant, cela constitue un secret qui donne l’illusion d’être un mensonge. En conséquence, l’angoisse le gagne. Il demeure silencieux et pose sa guitare à côté de lui. « Je peux te l’expliquer… » Il lâche dans un ton sérieux. Il ne sait pas par quel bout il va le prendre, ni même comment l’adolescente va réagir, mais il sent qu’il est important qu’il fasse preuve de franchise. D’autant plus qu’il ne connait que cette voie dans la vie. « C’est une enveloppe pour toi et ta mère que je dépose chaque mois depuis trois ans. » Il admet en venant se masser la nuque. Il se sent tendu et vient se relever pour se placer face à elle. « Afin de respecter une promesse que j’ai faite à un ami. C’est une longue histoire. » Il admet, car il sait qu’il va devoir plus en divulguer, entrer plus dans les détails pour donner du sens à tout cela. Surtout qu’il imagine recevoir une tempête en plein visage lorsqu’il la voit si fébrile que cela. Ce qui le trouble plus qu’il ne le laisse entrevoir.  

Shannen se pointe à l’intérieur du salon lorsqu’elle découvre l’enveloppe dissimulée dans un tiroir. Elle retient sa rage un instant pour obtenir des réponses vivement espérées et nécessaires pour comprendre les illusions qu’il a formées consciemment autour d’elle. La blonde teinte sa voix d’une froideur palpable, bien que la colère ne fasse pour le moment que lui bouffer les entrailles. Elle est tiraillée entre l’angoisse et l’étonnement, assez surprise de comprendre l’entourloupe manigancée. Même si Orion avait – vainement - tenté d’aspirer sa naïveté pour la nourrir de méfiance, Shannen s’était obstinée à écarter ses avertissements de sa tête. Elle réalise aujourd’hui que peut-être, oui, peut-être, Ciaran est un imposteur comme le brun lui avait spécifiquement indiqué. Son blond est certainement un connard. S’il est le détenteur de ces quelques billets glissés chaque mois dans leur boîte aux lettres, alors il aurait pu être une âme charitable, et Shannen aurait pu apprécier cette initiative. Mais certains indices qui traînent dans son crâne ne sont pas cohérents avec cette réalité adorable, à laquelle l’adolescente aurait préféré être confrontée. Il suffit de faire le calcul des années, suffit de réfléchir légèrement pour remarquer le mensonge grotesque dans lequel Ciaran l’a plongée sans scrupule. « Je crois qu’en effet ça demande des explications. » Elle se retrouve sans défense devant lui, l’amertume coincée dans les yeux. Elle se sent piégée, fragile, face à son regard océan qui la toise avec culpabilité ; devant sa silhouette nonchalante qui s’avance vers elle. Il la désarme par ses mots, la bouleverse par son regard désolé aussi poignant et cruel que du poison. Son amour à l’égard de cet homme devient doucement, vicieusement, une haine viscérale qu’elle ne perd pas un instant à lui éclater en pleine figure. « Trois ans qu’on reçoit de l’argent chez nous… sauf que ça fait qu’un an et demi qu’on se connaît tous les deux ! Y’a quelque chose qui cloche Ciaran ! Je crois comprendre que tu me connaissais bien avant… et surtout, que tu es qu’un putain de menteur… » La souffrance l’envahit et la fait trembler légèrement, ses mains tressautant à chacun de ses mouvements. Sa respiration devient plus saccadée, difficile. « A un ami ? Quel ami bordel ? Vas-y, j’ai tout mon temps. Je me régale déjà ! » Elle se met à crier en sa direction, en quête de cette vérité qu’on lui a longtemps cachée. Elle la retient enfin entre ses doigts et n’est pas prête de la lâcher. « J’aurais tellement préféré que l’enveloppe soit ressemblante par un pur coup de coïncidence. Pareil pour notre rencontre. Mais je crois pas aux coïncidences. » Elle commente doucement, les yeux empreints de sa fébrilité scrutant péniblement les siens. Ses prunelles lui hurlent ‘tu viens de me briser en deux, tu es qu’un con’. Elle réalise aussi que leur lien complice détient une origine nettement moins merveilleuse, et plutôt tissée sur une chimère destructrice.

L’instant tant redouté semble se produire. Si par le passé, il a essayé, en vain de l’informer de certaines choses, il n’est jamais parvenu à lui révéler la vérité. Prisonnier d’une promesse faite à un ami, mais aussi d’un désir cher d’une mère, qui a souhaité préserver sa fille d’une vérité destructrice, il lui a été impossible d’aborder ce sujet si délicat. D’autant plus, désormais, qu’ils sont en couple. La crainte de la blesser, de la perdre l’a d’autant plus enfermé dans ce mutisme qu’il a jugé nécessaire. Cela semble être une erreur et il s’efforce d’atténuer la tornade qui menace de s’abattre sur lui à tout instant. Et elle ne manque pas de le toucher, de ravager tout sur son passage. Ces propos éveillent la colère et tristesse qui semble ronger les entrailles de l’adolescente. « C’est faux. » Il s’exclame avec fébrilité lorsqu’elle l’accuse d’être un menteur. Il lui a caché certaines vérités, mais il n’a jamais simulé aucune de ses actions ou sentiments à son égard. « J’ai peut-être dissimulé certaines vérités par manqué de franchise, mais je n’ai jamais en aucun cas prémédité mes actions ou mes sentiments à ton sujet. » Il se défend avec force en plongeant ses iris claires dans les siennes. « Ton père. » Il admet face à sa question, car il n’est pas en mesure de lui offrir une autre réponse. « Et cela n’a pas été facile pour moi de te le cacher, crois-moi, mais j’avais une promesse à tenir et je ne pouvais pas aller à l’encontre du désir de ta mère. J’aurai mil fois préféré me présenter comme son ami de ton père, que comme un vulgaire bienfaiteur de l’ombre. » Il avoue avec fébrilité. Cela l’a blessé plus qu’elle ne l’imagine. Encore plus depuis qu’il est tombé amoureux d’elle, mais il n’avait pas vraiment le choix. Ou du moins, il n’a pas pris le bon. Il n’aime pas les pensées qu’elle évoque à haute voix, la blessure que cela lui inflige et qu’elle lui éclate avec violence au visage. Il sent légèrement ses doigts tremblés. Il est possédé par l’envie de la prendre dans ses bras. « Je sais que ça doit porter à confusion. Tu as toute légitimité à le penser, mais lorsque j’ai inscris Summer à ce cours de danse, je ne m’attendais pas à ce que vous soyez si amies. Je ne m’attendais pas à ce que tu intègres tellement notre quotidien et encore plus que je m’attacherai à toi. Encore plus de cette manière. Il n’y a rien de prémédité. Ce n’est pas un jeu de manipulation. C’est juste le fruit de moments hasardeux et d’une complicité que je ne pouvais pas prévoir. Que je n’aurai jamais imaginé. » Il murmure avec une grande fébrilité. « Ce que je ressens pour toi, c’est vrai, Shannen. Et tu le sais… » Elle doit bien le sentir dans sa manière d’agir à son égard, de la toucher, de la chérir. Il n’y a aucun jeu de manipulation…

La tête de Shannen tourne inlassablement face au poids du doute. Il est lourd à supporter, tant le mensonge tissé semble invraisemblable et conséquent. Il abîme son cœur, coupe son souffle et recouvre son corps de tremblements. Elle aurait voulu le gifler pour la trahison qu’elle doit traverser par sa propre responsabilité, mais elle n’en possède même pas la force. Son bien-être se dégrade, mais sa vitalité physique davantage. Elle étouffe dans ses propres illusions, dans l’amour fort qu’elle lui portait et qui se transforme en un véritable désespoir. Elle tente de se raccrocher à la vérité qui se glisse de sa bouche pour ne pas sombrer, mais elle est aussi troublante et déchirante que le mensonge qui lui explose à la figure. Elle saisit mieux ce que voulait lui dire Orion, ce qu’il a tenté de lui faire comprendre par des commentaires emplis de méfiance. Il avait toutes les raisons de douter de la loyauté du blond, maintenant qu’elle sait. Maintenant qu’elle réalise combien il a manqué de franchise, maintenant qu’elle prend conscience qu’il l’a prise pour une conne. « Ne me dis pas que j’ai rencontré Summer tout à fait par hasard, ce serait mentir. Je t’ai dit que je ne croyais plus aux coïncidences alors ne me prends pas pour une conne. » Elle s’énerve une dernière fois avant de se laisser secouer par une profonde souffrance, plus vive et virulente que cette récente découverte. L’identité de cet ami lui parvient à ses oreilles, et Shannen, complètement déboussolée et sous le choc, redresse la tête vers lui pour déceler la vérité. Il est en contact direct avec son père, et cette réalité finit à l’effondrer. Elle n’a désormais plus la capacité de lui hurler dessus, le contrecoup est trop brusque et la plonge dans un état de saisissement insondable. Aucun mot ne parvient à se glisser de ses lèvres, elle a besoin de reprendre ses esprits après cette nouvelle accablante. Des larmes s’écoulent ainsi de ses prunelles obscurcies, sans qu’elle ne parvienne à les contrôler ; et son corps est traversé par des sanglots plus cuisants encore. L’émotion qui se déverse en elle est intense, elle ne parvient à peine à la gérer. Elle écoute attentivement toute la vérité qu’il tente de remettre en place, évoque Summer et leur rapprochement durant les cours de gymnastique. Mais Shannen entend à moitié ce flot de paroles pleines de tendresse, trop chamboulée de savoir que Ciaran connaît son géniteur. Elle est toute étourdie, fragile et vacillante face à lui, malgré toute la douceur qu’il s’applique à lui témoigner. « Mon père ? » Elle répète seulement, après plusieurs minutes, lorsqu’il a terminé son monologue ; avec une extrême sensibilité, sans cette colère qui teintait sa voix. Elle n’a plus la force d’être hargneuse, il n’y a que ce goût de trahison qui lui revient en bouche, et cette profonde douleur lancinante qui impacte sur son cœur délabré. « Tu le connais d’où ? » Elle n’a aucune envie d’entendre ces longs discours pleins de poésie, ni même de recevoir sa tendresse à la faire frissonner d’extase. C’est fini, tout ça, elle veut seulement la vérité sur son géniteur.

La vérité éclate de ses lèvres pour frapper de plein fouet l’esprit fragile de l’adolescence. Il s’efforce de trouver les bons mots, malgré qu’il se doive d’éclaircir la situation complexe dans laquelle leur moment de douceur a glissé. Des explications doivent être données, des mystères doivent être résolus et s’il avait supposé qu’il doive subir un océan de reproches de la part de l’adolescence, il n’a pas pu l’anticiper avec autant de précision. Il n’y est pas préparé, mais les subit. Ils égratignent son cœur tout comme les siens doivent faire souffrir ceux de l’adolescente. Alors, il abandonne sa fierté pour tenter d’amoindrir la douleur de ces révélations, de les apaiser, sans être certain d’y parvenir. Il ne la trouve pas injuste, perçoit son point de vue, bien qu’il n’ait pas abordé les choses sous cet angle lorsqu’il les a mises en place. « Peut-être, oui. Tu n’as pas tort à ce sujet. J’ai provoqué votre rencontre. J’ai fait en sorte qu’elle vienne vers toi pour que vous créiez un lien qui aurait été naturel dans d’autres circonstances. Que tu trouves une personne, qui a connu la même vie que la tienne. La douleur de ne pas avoir de père, de ne rien savoir à son sujet. Alors, oui indirectement, j’ai espéré que vous deveniez amies, pour pouvoir en parler entre jeunes filles à l’âme sensible, parce que moi-même, j’ai vécu auprès d’une mère abandonnée par son mari. Et qu’importe les raisons, je me suis dit que ça pourrait te faire du bien, à toi et à elle. » A vrai dire, il n’est plus en mesure d’expliquer son geste de l’époque. Il se souvient de l’avoir vu plusieurs fois les larmes aux yeux, seule dans un parc, d’avoir envisager les différentes raisons de ses yeux rouges sans pouvoir en être certain. Il a senti sa profonde solitude malgré ses rires et oui, indirectement ça l’a renvoyé au gamin qu’il a été après le divorce de ses parents. Cette incompréhension profonde, mêlée à la rage d’être impuissant. Lui aussi il l’a ressenti. Il ne peut pas oublier ce sentiment. Alors à sa demande, il précise les raisons de son silence, s’efforce de lui faire comprendre que cela a été difficile de lui en parler par rapport à sa parole qu’il avait donné à son géniteur et à sa génitrice. Il a conscience que tout ceci la chamboule et l’envie de la prendre dans ses bras est profonde. Il tâche de revenir sur eux pour qu’elle cesse de croire que leur histoire était préméditée de sa part, car en aucun cas, il ne s’était imaginé tomber sous le charme d’une jeune fille en fleur, d’éprouver de nouveau un sentiment qui se rapproche de l’amour. Comment aurait-il pu le faire ? « En prison. Il s’appelle Kenan. C’était mon partenaire de cellule et c’est devenu mon meilleur ami. Ta mère a toujours refusé qu’il te révèle la vérité, qu’il rentre directement en contact, alors par amour, il se plie à ses désirs, mais n’a aucune idée de l’homme qu’elle te dépeint depuis des années. Pourtant, tout ce qu’il désire est de te voir, découvrir la femme que tu deviens tandis que le temps s’égrène. Alors lorsque j’ai obtenu la liberté anticipée, il m’a supplié de veiller sur vous, sur toi. C’est pour cela que je me suis rapprochée de ta famille, que je t’ai découverte, comme je découvrais Summer… » Il murmure faiblement dans un aveu sincère. « Je voulais juste prendre soin de vous. J’étais loin d’imaginer que je tomberai amoureux de toi. Désolé, Shannen » Il murmure avec fébrilité alors qu’il s’approche d’elle pour la prendre dans ses bras. Il se prépare à recevoir sa colère, ses coups, ses pleurs, mais il est prêt à encaisser, car elle va devoir évacuer toute cette douleur qui sommeille en elle depuis tant d’années.

La vérité tranchante se révèle enfin, Shannen la touche du bout des doigts. Elle se laisse entraîner par sa colère, son amertume aussi, toutes deux coincées dans ses entrailles. Elle témoigne de ses émotions par les intonations de sa voix, plus graves qu’en accoutumée, plus déchirantes aussi. « Tu as surtout bien profité pour te rapprocher de moi ! Bravo Ciaran ! Tu as bien accompli ton devoir ! » Elle lâche ironiquement à son encontre avant d’entendre péniblement la suite. La réalité la bouleverse d’une force incomparable. Elle n’a jamais eu autant l’impression qu’on lui déchirait le cœur, qu’on l’extirpait de sa poitrine d’une poigne robuste et insistante. Et ça tire, tire, tire. C’est si douloureux d’affronter cette réalité escomptée, alors qu’elle a toujours cru que son père était l’homme ambitieux et combattif qui s’était tué en guerre – ou une connerie du genre qui reflétait les paroles à la connotation positive de sa tendre mère. Ton… Ton meilleur ami… » Elle prononce lentement comme pour elle-même, afin d’apprivoiser cette idée complètement irréaliste. Cette découverte l’accable, mais sa souffrance est telle qu’un rire nerveux et étendu dans le temps s’échappe de ses lèvres. Elle rit face à l’absurdité de la vie, devant sa piètre innocence et sa cécité provisoire. Elle rit pour ces illusions dans lesquelles elle a plongé, bouffée par l’amour ; pour se sentir moins pitoyable – juste un peu – devant ses grands yeux bleus qui la toisent. Elle rit fort, pendant quelques secondes, suffoquant finalement dans son sarcasme. Elle ne rétorque rien, les larmes qui se dessinent le long de ses joues suffisent à dévoiler combien son rire est empli de souffrance. La banalité de la vie l’a consumée, elle aussi, elle n’a pas pu lui fuir éternellement. Il fallait bien que la douleur lancinante au fond de sa poitrine revienne à la charge, après la tendresse des moments vécus en compagnie du blond. Alors son rire se coupe progressivement, s’envole pour des contrées plus lointaines, tandis que les perles salées s’écoulent, quant à elles, promptement, sans relâche. Sans répit. Chaque parole du blond est un poignard qui s’enfonce contre son cœur, et aucun mot tendre ne saurait raviver la flamme qui menaçait sa poitrine de connaître un véritable incendie. Elle entend à peine le reste de son discours, mais comprend l’essentiel. Tout ce qu’elle aperçoit dans cette rencontre simulée, dans ces mots plein d’amour, c’est qu’il recouvre le tout de poésie pour dissimuler l’imposture à laquelle elle a été mêlée. Et même emprisonnée sans consentement. Le mensonge est une prison pour son esprit, on a enfermé son âme pour lui cacher la laideur du monde, et toutes les impuretés qui s’y voilent. Maintenant elle connaît le lieu dans lequel son père a trouvé refuge, ses raisons pour avoir jugé préférable de se contenter d’un silence pesant. Les mains de l’adolescente se glissent contre son visage, se frottent la peau quelques secondes, pour tenter vainement de se réveiller de ce cauchemar. Elle a longtemps recherché la vérité, mais le flot d’informations et d’illusions qui se déversent dans sa tête, et broient son cœur au passage, est sans doute trop pour une gamine comme elle. Ciaran tente de l’emporter dans une étreinte, mais elle le repousse brusquement, avec toute la violence nécessaire pour le faire reculer et lui retirer l’envie de se soumettre à cette initiative une seconde fois. Elle use de ses petits poings pour le retenir au niveau du torse et lui bloquer tout accès. « Dégage de là ! Me touche même pas ! » Elle s’écrie en pointant son regard pénétrant vers le sien, faisant retomber ses bras le long de ses hanches tremblantes. « Tu croyais quoi Ciaran ? Que j’allais rester la gentille ado que tu connais après ça ? Va chier ok ? Va te faire foutre ! » Elle lui crache sa haine à la figure, se détournant de sa douceur naturelle pour se résigner face à l’impolitesse. Elle fait preuve d’insolence pour exploser sa douleur. « Je veux plus t’entendre, plus te voir. Jamais. Ok ? » Elle demande son accord mais n’a pas l’intention de céder. Elle relâche l’enveloppe au sol, à ses pieds, avec autant d’arrogance que si elle lui avait craché un glaire sur ses chaussures en signe de dégoût. Elle l’observe avec répugnance et ne cache pas un instant sa déception. Son comportement est brutal, mais il est à l’image des émotions vives et virulentes qui s’emparent d’elle avec la férocité d’une tempête.  

Il fait abstraction de ses sentiments pour se concentrer essentiellement sur ceux de l’adolescente. Les mots prononcés par la demoiselle écorchent son cœur avec violence, mais il encaisse sans un mot. La fureur, mêlée à la détresse qui émanent de Shannen lui lacère la poitrine. Il se rend compte de la déchirure que ces révélations provoquent au sein de la poitrine de la plus jeune et cela le touche en plein cœur. Il se sent impuissant et s’efforce de s’expliquer, éclaircir les idées noires qui rendent obscur son esprit, en vain. Il le sent dans la noirceur de ses prunelles naturellement pétillantes de malice. C’est résolument troublant de la plonger dans un tel état, mais il considère cela logique. Il a conscience que son silence ne peut être accepté comme s’il s’agissait de quelque chose sans intérêt, sans incidence sur leurs existences et la nature de leur relation, mais il s’est senti pris au piège d’une situation qu’il a indirectement provoquée sans réellement l’anticiper. Et il se doit d’en payer les conséquences et celles-ci sont désastreuses. Cela l’attriste profondément de la savoir dans un état de fébrilité si profonde. La culpabilité prend place au sein de son ventre, grignote ses entrailles avec une violence conséquente bien qu’il ne montre pas de signes de faiblesse. Pourtant, l’action de rejet de l’adolescente à son initiative, le déchire au plus profond de son être. Son impuissance éclate, mais il tient tête, fait de son mieux pour la maintenir contre lui, mais l’accès de fureur qui habite l’adolescence est si profonde que ses forces semblent décuplées. Des paroles acerbes s’échappent de ses lèvres naturellement douces. Il sait sa douleur profonde, cuisante et douloureuse. Elle transpire dans chaque geste de l’adolescente et il ne peut rester sans rien faire face à ce spectacle déchirant qu’il a causé indirectement. Il semble impossible de la calmer à cet instant, mais il est disposé à subir sa hargne pour tenter de lui permettre de soulager tout ce poids apporté par cette confession. Alors, malgré ses injures, ses mots blessants et ses actions emplies de mépris et de dégout, il fait preuve de fermeté pour la serrer de nouveau contre lui, car il ne peut pas s’empêcher de vouloir la protéger, de soulager une partie du mal qu’il a causé en lui offrant sa douceur. Il est pourtant prêt à recevoir un second refus, mais à cet instant, il semble dépossédé de sa capacité à parler, à trouver les bons mots pour amoindrir ses peines, alors il se tait et espère. Il souhaite sincèrement qu’il ne la perdra pas, qu’elle finira par lui pardonner. Il n’est pas certain d’être en mesure de revenir en arrière sur ce qu’il ressent pour elle. Elle lui retourne bien trop la tête, les tripes et le cœur. Il l’aime vraiment.

La réalité qu’elle surprend et ôte de la bouche de Ciaran la bouleverse. Shannen active non seulement sa fragilité, mais aussi ses larmes qui s’empressent de dégouliner contre ses joues devenues humides. Cette vérité tant attendue crée une profonde écorchure au sein de son âme, mais menace aussi la solidité de sa relation avec le blond. La confiance qu’elle lui témoignait vient de se dissiper en même temps que le bonheur qu’il parvenait à lui procurer. Ses yeux attestent de sa souffrance, tant ils sont imbibés de perles salées qui ne s’effacent pas, malgré les propos doux qu’il déverse à ses oreilles. Elle l’entend sans trop l’écouter, la déception à son égard étant trop vive et virulente pour lui accorder ne serait-ce que du temps. Elle lui offre plutôt son ton sec, ses paroles glaciales et ses mouvements brusques lorsqu’il tente vainement de la prendre dans ses bras. Elle recule, le repousse pour ne pas se laisser convaincre par ses airs coupables et son regard océan à la dérive. Elle l’observe avec dédain, avec ses yeux pleins de férocité pour négliger ses excuses et lui infliger la même douleur au creux des entrailles. Elle lui hurle au visage en imposant une distance entre eux à l’aide de sa force de mouche. Il n’est pas important de spécifier que sa méthode n’obtient pas le succès voulu, et que l’insistance du blond suffit à la retenir au creux de ses bras. « Lâche-moi ! » Elle s’exclame, la fébrilité brisant sa voix, rendant le contenu aussi audible qu’un murmure. Certainement qu’il juge cet élan de sensibilité peu convaincant puisqu’il la maintient contre lui. Alors elle pousse contre son torse de ses petits poings pour tenter de s’éclipser, mais il continue de la garder de force. « Lâche-moi je t’ai dit ! » Il semble comprendre sa requête puisqu’il la libère de son emprise, rendant ses larmes que plus abondantes et la fureur coincée dans son cœur que plus conséquente. Le regard sombre qu’elle pose sur lui le juge, lui dévoile tout le dégoût et la colère qu’elle éprouve naturellement à son égard. Plus que de la déception, c’est du mépris qu’elle ressent en le sondant. Du mépris pour son mensonge abrupt et sa trahison insoupçonnée. Du mépris pour lui briser le cœur avec autant de facilité. Puis elle se retourne pour attraper son manteau posé sur un siège du salon, l’enfile rapidement, et repasse devant lui. « Ne t’avise même pas à m’approcher ! Je veux plus jamais te parler ! » Elle le prévient en guise de menace, tout en tendant le doigt en l’air, doigt qu’elle relâche rapidement. Elle pose un dernier regard sur lui, empli de rancune et de rage, avant de s’envoler à l’extérieur de l’appartement, pour éviter de suffoquer face au malheur et aux angoisses qui l’accablent.