Malgré le froid, tu étais finalement bien content que tes frères ne soient pas venus. C'était l'occasion ou jamais de parler un peu avec ton père et tu savais que c'était aussi votre tradition, pas la leur. Alors, prêts à braver le froid, vous vous retrouviez comme deux hommes échoués sur une barque, dans un silence matinal qui n'était ni pesant ni naturel. À toi, il te fallait le temps d'émerger un peu, et puis les poissons ne viendraient pas mordre à l'hameçon si vous vous mettiez à discuter comme vous le faisiez de bon matin chez vous.
Tu avais quand même pris l'initiative et tu avais vu le visage de ton père considérablement changer d'expression. De quoi te provoquer un rire que tu t'efforçais de réprimer. Sa phrase n'avait aucun sens à tes yeux. Comme s'il ne savait pas ! Si tu avais quelque chose à dire c'était qu'il y avait forcément quelque chose à dire et tu connaissais ton père bien plus que ce que tu ne pouvais l'imaginer, alors il n'allait clairement pas te la faire à l'envers en se faisant passer pour un petit innocent. Ce fut ton tour de lever les yeux au ciel. « Comme si tu ne savais pas! » Tu pouffais de rire, tout en te réprimant un maximum. Pas la peine de faire fuir les quelques poissons qui pourraient s'aventurer par ici. Tu te mordis la lèvre. Comment tu savais? Eh bien, c'était toi qui avais créé son compte sur le site de rencontre et tu ne t'étais pas arrêté aussitôt pour stalker sa vie amoureuse. Car oui, si Sirius n'était pas très "sites de rencontres", toi, tu avais bien regardé tous les profils. Bon, tu n'en avais trouvé aucun correspondant à ton papa selon toi, mais tu avais remarqué dans l'attitude de ce dernier qu'il y avait eu un changement quelque part. Tu t'étais bien gardé de le dire immédiatement, ce qui aurait mis mal à l'aise toute la famille mais surtout Sirius, tu en étais persuadé, tu avais préféré le garder pour mieux le recracher au moment propice. Ce qui n'enlevait pas de ton caractère bien trop direct, il ne fallait pas le nier non plus. Tu haussais les épaules avant de lui répondre. « Je ne sais pas, ton comportemnt, je pense. Tu as l'air plus heureux comme ça, pap's! »
Tu regardais l'attitude de ton père et l'espace d'un instant tu oubliais tout. Mmmm, du café bien chaud ! De quoi te réveiller et te garder bien au chaud. Tu évitais de faire le gros impatient et de t'exclamer "moi moi moi!" puisque tu savais que ton père t'en donnerai un peu, alors tu t'efforçais de te déconcentrer de cette vision afin de ne pas paraître pour le gros impatient égoïste de service. Mais il fallait dire aussi que tu crevais de froid malgré l'emballage de vêtements dans lequel tu te trouvais. « Bien sûr! Tant qu'elle te rend heureux je suis sûr que je l'apprécierai! » Après tout, tu n'étais pas le genre de personne à réagir autrement. Alors tu n'allais pas cracher sur la rencontre avec ta future belle-mère ou actuelle belle-mère (c'était compliqué pour toi toutes ces étiquettes) en sachant que tu ne pourrais que l'adorer de rendre ton père heureux et bien plus souriant que ces dernières années. Ce qui se comprenait, d'ailleurs...

Pas un oiseau ou volatile ne s'était amusé à perturber votre petit rituel. Sans doute faisait-il trop froid pour eux, mais tu n'allais clairement pas te plaindre de si peu, au contraire. Ca t'arrangeait clairement de pouvoir profiter de cet instant père/fils et tu étais assez ravi que tes frères aient préféré la douceur de leur couvertures au froid qui t'en lacerait les joues. Rien ne semblait brisé ce silence qui vous entourait, à l'instar d'une bulle de son protectrice. C'était ton père et toi, à l'écart du reste du monde et tu n'allais clairement pas t'en plaindre. Tu adorais ça.
C'était pourtant toi qui avait décidé de briser ce silence qui paraissait presque apaisant face à l'aigreur de cette température négative. Ce n'était pas étonnant, tu étais un véritable moulin à paroles, le silence te paraissait souvent comme une torture, mais tu avais eu besoin d'amener la conversation. Ca n'allait pas aider les poissons à venir vers vous, mais tu connaissais assez la pêche pour savoir que tant que tu ne parlais pas fort, les vibrations n'iraient probablement pas jusqu'aux poissons. Enfin, pour le coup, tu l'espérais, parce que ta curiosité ne t'avait pas permis d'être muet plus longtemps. Tu avais été au courant que ton père fréquentait une autre femme. Enfin, et en même temps, déjà. Ta mère te manquait terriblement et tu avais souvent du mal à faire la part des choses sans elle. Tu regrettais vraiment tout ce que tu n'avais pas pu partager avec elle, et tu t'en voulais assez tout de même. Mais tu savais aussi que vivre dans le passé ce n'était pas une bonne chose et, en voyant le malheur que cela provoquait chez ton père, tu avais un peu forcé le destin - et ton petit frère aussi, puisqu'il avait été ton complice dans tout ça - en inscrivant ton petit papa sur un site de rencontres. Honnêtement, jamais tu n'aurais pu penser qu'il se prendrait au jeu de la sorte, mais tu avais été complètement ravi en voyant que cela avait porté ses fruits. Etonné, c'était vrai, mais ravi.
Le sourire sur le visage de ton père te réchauffa le coeur. C'était exactement de ça que tu parlais en disant qu'il était plus heureux. Depuis la mort de ta mère, tous les sourires que ton père avait faits semblaient soient forcés soient vides de sens et ça t'avait vraiment fait du mal de réaliser à quel point il était malheureux. Comme si la perte de ta mère, que tu chérissais plus que n'importe qu'elle autre femme au monde (en même temps, c'était ta mère!) n'avait pas été suffisante pour te rendre triste. Ce fut ton tour de sourire.« Tout nouveau parce que tu savais pas ce qu'était un site de rencontre, c'est tout! » Bien sûr, tu plaisantais. Tu comprenais très bien ce que voulait dire ton père. Tu l'avais toi même déjà vécu. Ce n'était certainement pas la même chose à cent pourcents, mais tu te doutais de ce que voulait dire ton père. Après tout, il avait vécu des années durant avec la même femme, tout devenant plus facile parce qu'il la connaissait vraiment bien. Avec une nouvelle, c'était tout recommencer de zéro et c'était forcément plus compliqué.
Prenant la tasse que te tendait ton père, tu ne te fis pas prier pour en boire une grosse gorgée, profitant que ce soit chaud. Tu manquais de te brûler langue et gorge, mais tant pis, au moins, ça aurait le mérite de te réchauffer un peu tout de même. Ton père semblait hésitant sur le fait que tu apprécies sa copine. Enfin, hésitant, peut-être pas, mais son regard exprimait comme un doute. C'était tout de même compréhensif, tu ne lui en voulais pas non plus. Tu baissais les yeux. Tu pensais beaucoup à ta mère, mais tu n'en parlais que très peu. Ou alors tu l'évoquais en évitant d'exprimer le fait qu'elle ne soit plus là. Et tu n'en parlais que très peu avec ton père. Tu avais l'impression, par rapport à lui, de ne pas être légitime à penser à ta mère. Tu avais parfois l'impression de les trahir tous les deux si tu en parlais à voix haute. C'était bête, mais tu ne pouvais t'empêcher de penser de la sorte. Ta gorge était nouée. « Elle me manque aussi, Papa. » tu ne répondis pas davantage. Tu savais très bien que rien ni personne ne pourrait la remplacer et tu te contentais d'acquiescer.
Et puis... ce fut le drame. Depuis ton ex, tu n'as pas vraiment ramené de fille chez toi. En fait, tu n'en as pas envie. Tu as assez mal pris le fait qu'elle te reproche ce que tu étais. Le simple fait d'être avec quelqu'un ne signifiait pas l'aimer avec tous ses défauts? Pas pour elle en tout cas, et tu n'avais pas tarder à renchérir en lui disant que c'était donc fini. Jamais tu ne t'étais fait plaquer de ta vie et tu n'étais pas prêt à vivre une telle humiliation un jour. T'étais plutôt le genre de gars suffisamment fier pour l'infliger, même si tu n'avais aucune volonté de faire mal à qui que ce soit. « Que penses-tu, comme réponse d'un "Quand j'aurais trouvé une à ramener"? » Tu n'avais rien d'autre à ajouter. Soit tu estimais qu'elles ne valaient pas la peine, soit tu restais en retrait et tu passais de longs mois seul, à refuser d'approcher n'importe quelle fille. Et puis, il y avait Julyann. Tu avais senti les traits de ton visage changer subitement. Il n'y avait qu'Eddie qui savait que je la connaissais et qui semblait connaître tes sentiments pour elle. Toi-même, tu n'en savais rien, tu savais juste que c'était la première que tu n'arrivais pas à te sortir de la tête et que tu aimais vos moments à vous chamailler pour un oui ou pour un non. Et puis, elle était particulière. Elle était comme toi: elle aimait l'eau. Et c'était ce qui la rendait si différente. En bien. Tu ne pouvais qu'admirer ce fait, d'ailleurs.
Tu t'extrayais avec un peu de difficulté de tes pensées pour revenir à la réalité. Tu étais bien chanceux si ton père n'avait pas remarqué ça. Toutefois, son sourire semblait dire tout le contraire. Alors, tu soupirais bruyamment. T'étais certain de ne pas réussir à t'en sortir facilement, cette fois ci.

Inévitablement, tes yeux se posèrent sur l'alliance de ton père. C'était l'effet "discussion entre grandes personnes" qui se ressentait, et soudainement tu avais l'impression d'avoir pris ton âge en maturité, ce qui valait tout dire puisque tu étais capable de ne pas en faire preuve du tout. Et c'était dans ce genre de conversation que tu réalisais tout ce que tu n'avais pas, ou en l'occurrence tout ce que tu n'avais plus. Ta mère, elle avait toujours été ta plus grande alliée et tu l'avais perdue après l'avoir presque laissée tomber pour devenir pilote dans l'armée. Tu l'avais complètement abandonnée et même après trois ans écoulées depuis qu'elle n'était plus là, tu gardais le cœur écrasé par la culpabilité. Seulement, tu ne pouvais pas en parler et surtout pas à ton père, qui semblait avoir perdu une partie de son âme à son décès. Alors, tout bonnement, tu as toujours tu ce que tu avais sur le cœur tant que ça la concernait. Pas la peine de rajouter du malheur en exprimant tes pensées que tu trouvais tellement égoïstes. Oui, autant ne pas en rajouter.

Ca n'avait pas l'air de mordre beaucoup, et tu te disais que le froid était sans doute un très bon présage: il aurait mieux fallu que vous restiez au lit. Mais même sans poisson, c'était un moment privilégié à tes yeux que vous partagiez, bercé par des silences entrecoupés.
Tu t'étais bien douté que discuter des amours de ton père viendrait forcément à te faire parler des tiennes, même si ce n'était pas le but même de la conversation que tu avais essayé de lancer. Ton père était arrivé à une conclusion assez hâtive, et tu trouvais ça terriblement drôle de le voir se désespérer que tu ne ramènes aucune fille à la maison. « Mais non, 'pa, je n'en ai pas besoin, ne t'inquiète pas. C'est juste que celles que je... comment dire... que je vois, ne sont pas suffisamment intéressantes pour que je les amène à la maison. T'en fais pas, je ne serai pas celui qui finirai vieux garçon va! » En fait, tu ne savais pas lequel de vous trois avait le plus de chances de finir vieux garçon. Eddie était suffisamment renfermé pour mettre le temps, mais tu savais qu'il avait un certain charme qui opérait sur les filles, tu ne te faisais donc pas vraiment de souci pour lui. Albus, c'était plus compliqué. Il était plus jeune, il avait le temps de s'amuser avant de se préoccuper de quoi que ce soit. Et puis, à tes yeux, il n'avait pas encore l'âge de s'intéresser aux filles, même si vous n'aviez que deux ans d'écart. Tu continuais de boire ton café, appréciant chaque gorgée qui te réchauffait un peu plus. « Ne te vexe pas, pap's, mais honnêtement, c'est sympa de vivre à la maison, mais j'y ferai pas de trop vieux os. » Tu avais tout de même dans l'idée, un jour, de te poser avec une femme et de t'éloigner de la maison familiale. Même si, pour l'instant, ça t'arrangeait bien, au moins niveau dépenses. Et puis tu avais besoin de la présence de ta famille auprès de toi, simplement parce que tu t'en étais privé à tort et que tu n'avais pas envie de regretter encore et ce quoi qu'il advienne. « Je ne dirai plus rien sans la présence de mon avocat si tu continues l'interrogatoire. J'te signale juste que c'était à propos de toi qu'on parlait, hein ! » Tu lâchais un petit rire. Tu n'avais rien à dire ni qui validerait l'hypothèse de ton père ni qui la déferait. « J'aurais bien voulu, mais j'ai beaucoup de mal à expliquer que mon grand frère a choisi de s'occuper de son vieux père avec moi... encore, Albie, tu vois, ça passe, parce qu'il est plus jeune, à la limite je peux broder sur cet aspect... Mais Eddie, c'est plus compliqué je pense... » Et puis tu respectais trop ton papa chéri pour aller balancer à la première venue que tu vivais chez lui parce qu'il était sénile, grabataire, impotent ou peu importe. « Si tu le dis, mais tu sais qu'il ne faut que neuf mois, techniquement, pour que tu le deviennes... » le taquinais-tu, l'oeil brillant de malice.

Ton sourire était très gêné. Comment dire que tu n'avais aucune envie de discuter de ta vie sentimentale avec ton père, même si c'était exactement ce que vous étiez en train de faire. Tu savais très bien qu'à un moment où un autre tu n'aurais plus le choix de toute façon et qu'il allait bien falloir que tu discutes de ce sujet, sur lequel tu n'avais pourtant rien à dire. Mais le jour viendrait où tu en aurais et où tu te devrais de tout déballer à ton père, même sous la contrainte. Tu levais les yeux au ciel, secouant énergiquement ta tête en signe d'abnégation.« J'abandonne ! » C'était ton seul moyen de passer au travers. Discuter davantage ne ferait que t'enfoncer plus profondément et tu n'avais personne en tête pouvant correspondre à la terminologie « voir quelqu'un ». Certes, s'il s'agissait d'une fille, tu voyais bien Pobby, ta meilleure amie, mais tu étais certain que ce n'était pas là le terme auquel pensait ton père. Pobby, elle, semblait avoir son avis sur la question puisque tu avais eu le malheur de lui parler de Julyann et qu'elle semblait persuadée que tu étais secrètement amoureux d'elle, tellement secrètement que même toi tu l'ignorais. Elle avait touché un point de vérité mais toi, tu n'en savais tout simplement rien, tu te contentais seulement d'être exaspéré par ces volontés de te caser à tout prix.

Tu haussais les épaules. Tu n'avais aucune envie de nommer un de tes frères pour savoir lequel finirait vieux garçon au détriment de l'autre, et inversement. Tu savais que peu importe le nom que tu donnerais, tu finirais découpé en petits morceaux s'ils l'apprenaient. Alors tu préférais ne pas choisir, c'était plus simple. « Je prends des paris, j'en fais pas ! » Ton sourire s'élargit encore un peu. Vieux garçon ou pas, si c'était toi celui des trois qui finirait ainsi, tu ne resterais pas indéfiniment dans la maison familiale, même si tu y avais tous tes meilleurs souvenirs et que tu adorais cette maison, ainsi que ses habitants. L'heure n'était pas encore à déménager, mais elle ne tarderait pas, même si tu finissais complètement seul et aigri.
La réflexion de ton père te fit réfléchir un petit instant. Il n'arrivait plus à penser avec vous trois ? Mais mais... « Ca va, Pap's, on est plus des gosses, on fait clairement moins de bruit qu'avant.. non ? » Tu savais bien qu'il disait ça pour te faire râler et réagir, qu'il e charriait plus qu'autre chose, mais ta réactivité quand on te disait quelque chose te forçait à revoyer la balle aussitôt que tu la recevais.

Tous ces sujets ramenaient encore et toujours à vos vies sentimentales, surtout la tienne puisque ton père avait bien retourné les choses. La discussion coupa toutefois très court, tandis qu'un poisson mordait finalement à l'hameçon de ton père. Il était largement temps ! Certes ce n'était pas à cette heure très avancée de la journée que tu t'imaginais manger du poisson, rien que d'imaginer l'odeur ça ne te donnait pas envie. Tu pensais encore à ton petit déjeuner, que tu avais pris sur le pouce. Tu rêvais d'un bon café chaud, et de pâtisseries et viennoiseries, ça c'était ce que tu aimais . Tu avais bien plus envie de manger sucré que de t'engloutir un poisson à cette heure-ci. Mais c'était tout de même réconfortant de savoir que ce midi vous ne mangeriez pas des patates et des légumes, seuls.Aussitôt le poisson de ton paternel dans son seau, ta ligne se tendit, signe que toi aussi, tu avais attrapé un poisson. Avec beaucoup moins d'assurance mais la technique que Sirius t'avait enseignée lorsque tu avais appris à pêcher, tu le remontais. Il n'était pas bien plus gros que le sien, mais les deux cuisinés dans le même repas, ça pourrait carrément faire l'affaire. « Non, c'est sûr, mais peut-être qu'avec celui-là ça pourrait le faire ! » Apparemment, votre conversation devait avoir été suffisamment intéressante pour rameuter des poissons. Petits curieux ! color=#669999]« T'en fais pas, quand il y aura de quoi, promis »[/color] Tu lui adressais un sourire. Non, c'était clair, tu n'étais pas prêt. Mais tu étais prêt pour autre chose : « Bon, allez, on prend la barque et on va se chercher un super méga petit déjeuner ? Je crève de faim, pas toi ?» Sans attendre de réponse, ton poisson également dans le seau, tu t'efforçais de manœuvrer pour revenir au rivage. Au moins, ton estomac aurait peut-être la chance de se remplir de bonnes choses sucrées et délicieuses avant de manger du poisson !

The End.