Un silence presque religieux peignait au sein de la galerie. Cette dernière était fermée au public le lundi, sous les directives de Caitlin. Histoire de pouvoir faire le point avec les différents artistes et autres employés sur la semaine à venir. On apprendrait pas à une maniaque de l’organisation à gérer mieux son affaire ! La plupart des employés « lambda » de la galerie avait tendance à s’ennuyer ferme durant ces sept heures, non pas que le travail manquait, juste l’animation. Ezra, au contraire, appréciait tout particulièrement ces journées d’accalmie salvatrice pour son inspiration. Le bruit, l’agitation, ce n’était pas réellement son truc. Surtout lorsqu’un pinceau était glissé entre son pouce et son index. C’était une des raisons qui l’avait poussé à établir son atelier de fortune directement dans le bureau de Caitlin. Pas l’unique raison, certes. Mais tout de même! Le jeune artiste pouvait d’ailleurs l’entendre s’il tendait l’oreille, elle semblait en plein entretien téléphonique. Ne pas la déranger lui semblait tout indiqué. Il était relativement tôt, Caitlin devait d’ailleurs être la seule personne déjà arrivée au sein de la galerie. Son cahier à croquis sous le bras, Ezra profita de l’absence de Miranda à son poste pour s’y établir. Elle n’arrivait que dans une heure, ce qui lui laissait le temps de faire quelques recherches sur ordinateur. Il était à la recherche d’une nouvelle nuance de bleu. Ni lui, ni sa collaboratrice n’avait encore réussi a mettre la main dessus. La scène de sa prochaine toile devait se parer des couleurs nocturnes du jour qui commençait à décliner. Le ciel de Dewsbury avait cette nuance incroyable qu’il souhaitait reproduire, en vain, ne parvenant pas à trouver la fameuse nuance.

Alors qu’il s’affairait sur les sites de nuanciers et autres pantones, la porte de la galerie laissa entrer une jeune femme. Levant les yeux une première fois en pensant trouver Miranda sur le pas de la porte, Ezra du s’y reprendre a trois fois pour identifier clairement la personne qui venait d’entrer dans la galerie. Ici. Ici à Dewsbury! Alors qu’elle s’approcha du comptoir de l’accueil, la jeune femme murmura : « Ezra..» qui lui confirma son identité. Bordel. Voila tout ce qui lui venait à l’esprit en posant les yeux sur cette femme qui n’était autre qu’Eda. Bordel de merde! Il en restait comme deux ronds de flanc, la dévisageant comme un fantôme du passé. Qu’elle semble tout droit revenir de ses souvenirs n’était pas étonnant, il n’avait néanmoins jamais été question de son décès ! Merde, elle était là devant lui ! Ce brin de femme libanais dont le sourire charmeur n’avait pas changé d’un iota. Elle trotta dans sa direction. Sans même s’en rendre compte, Ezra fit de même! Eda se jeta dans ses bras. Il la souleva pour la faire virevolter en rond en milieu du hall. Son rire sonore était contagieux. Bientôt, Ezra riait lui aussi. Il la déposa à terre tandis que ses mains encadrèrent son visage. « T'as pas changé...» Ezra sentit son coeur rater un battement. Elle avait toujours eu cet effet sur lui. Elle irradiait. Elle était solaire. Comme pour conclure ces retrouvailles, et le plus naturellement du monde, Eda vint s’emparer des lèvres du jeune homme qui accueillit son baiser comme il l’aurait fait quatre ans auparavant, alors qu’ils entretenaient tout deux une relation passionnel. Passant sa main dans se cheveux, il eu l’impression d’être transporter tout droit au Liban alors que ses narines s’emplissaient des effluves de vanille et de musc caractéristiques de la jeune femme. Eda…  « Eda…! Qu’est-ce qui t’amène par ici ?! » Un large sourire fendait le visage du peintre, mille et unes questions se bousculaient dans sa tete.  « C’est si bon de te revoir!  »

Bon Dieu que son sourire était contagieux ! En un instant il se remémorait tout, sa joie de vivre, ses éclats de voix, ses baisers. Il n’était pas ardu d’essayer de s’en rappeler puisque leur lèvres venaient à peine de se quitter. Ses mains bien à plat sur son torse faisaient perdurer le contact physique entre les deux ex-amants. Entre eux cela avait toujours été particulièrement tactile. Eda avait le sang terriblement chaud. Elle adorait les démonstrations d’affection en public. Par dessus tout elle adorait marquer son territoire. Il se souvenait encore la façon dont elle se donnait en spectacle à chacune de leur sorties en tant que couple. Eda veillait bien à ce que chacune des femmes présentes à ces soirées comprennent qu’il était à elle, qu’il lui appartenait. C’était plus fort qu’elle. Ezra, lui, s’en accommodait bien, n’étant guère intéressé par ce qui pouvait graviter autour d’eux. Ils étaient dans leur bulle et pas grand chose ne pouvait l’atteindre. « J'ai postulé à plusieurs galeries dans l'espoir d'avoir un contrat et à croire que celle-ci m'est entendu.» Il éclata de rire. Le destin était si imprévisible ! Jamais au grand jamais il n’aurait songé la revoir ici, à Leeds, dans cette galerie. Eda avait du talent, elle méritait d’être davantage exposée. Si on l’avait fait venir depuis le Liban, cela ne présageait que du bon ! Il était heureux pour elle. Sincèrement heureux.

« Ne me dis pas que tu as réussi à avoir ta propre galerie?» Un nouveau rire s’échappa des lèvres d’Ezra lorsque son amie émit l’hypothèse que cette galerie puisse être sa propriété. Oh que non! L’idée de devenir propriétaire et gérant d’une telle affaire ne lui avait à vrai dire jamais traversé l’esprit ! « Hahaha non du tout ! Tu me connais, j’aurai jamais la patience de gérer un truc aussi gros ! Et puis toute la paperasse, l’administratif, très peu pour moi ! » Il passa la main dans ses cheveux comme pour tenter de canaliser ses paroles. Il avait tellement de chose à lui raconter. S’ils avaient pris l’habitude de s’appeler de temps à autre ou s’envoyer des mails, il était vrai que les contacts se faisaient plus rares entre eux ces temps-ci. Le temps surement. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis quatre ans. Quatre ans déjà…« En réalité je suis en partenariat avec la galerie, une sorte de contrat exclusif où je peux produire comme je l’entends et la galerie m’expose et organise tous les événements autour de mes toiles, quelque chose dans ce gout là quoi ! » En le disant à voix haute il se rendait tout de même compte de la chance qu’il avait. Il aurait pu ajouter qu’il était l’artiste principal de la galerie, que ses désirs devenaient réalités en un claquement de doigts, qu’il était choyé comme un prince. Oui Ezra mesurait la chance qu’il avait d’être reconnu dans ce métier et de pouvoir tirer profit de sa passion. « D'ailleurs, t'étais entrain de bosser sur un projet?» Toujours aussi curieuse. Ce n’était pas pour lui déplaire. « Tu perds pas une minute toi, hein ?  » « Tu me le montres?» La galerie n’était guère plus animé qu’avant l’arrivée d’Eda, il avait tout le loisir d’accéder à sa requête.. Ezra passa son bras autour de la taille de son ancienne partenaire, l’atmosphère guidait ses gestes, ou peut-être était-ce cette impression d’être ramené des années en arrière, de n’avoir jamais partagé autre chose qu’une telle proximité avec elle. « Je peux même te faire un tour de la galerie si tu veux ?  »