Shannen aurait apprécié être accompagnée par sa mère, au moins jusqu'à l'hôpital, pour ne pas ressentir ce petit picotement lui ronger les entrailles. La légère angoisse, voile subtile mais persistant au creux de son ventre, ne cesse de l'envahir lorsque ses pensées cogitent et se tournent sur l'unique raison de sa présence dans le bus : "Hôpital". Elle ne dévoile aucune trace de sa nervosité, exprime même son engouement de se rendre à Leeds par un sourire courtois au conducteur en lui achetant un billet. Elle s'assoit péniblement pour une longue demi-heure, à contempler les horizons, le froid qui gèle les passants, à tel point qu'ils s'efforcent de se tenir chaud en voûtant leurs épaules. Elle détaille les mouvements des individus, leurs styles vestimentaires, surtout de ceux qui la rejoignent dans le bus. Elle admire la beauté d'un cinquantenaire, puis celle d'une femme enceinte, à qui elle offre même sa place lorsqu'elle se rend compte qu'il n'y en a plus autour d'elle. Elle reste debout pour la suite du trajet, obnubilée par l'extérieur, les routes empruntées, avant que ce ne soit l'heure de descendre. Elle entreprend encore quelques pas avant d'atteindre ce gros bâtiment où se concentre tous les gens malades. Elle est traversée par l'effroi, et quelques crampes au niveau de son ventre, lorsqu'elle intègre cet hôpital, cet endroit lugubre qui ne la met pas en confiance. Encore une fois, elle tente de dissimuler sa peur au plus profond d'elle. Elle se présente à l'accueil, qui lui demande d'attendre à tel endroit. Plusieurs minutes s'écoulent avant qu'une jolie blonde ne l'incite à la suivre jusqu'à une pièce toute aussi glauque. « Bonjour Azur ! » Elle n'aime vraiment pas ça, les hôpitaux. Elle préférerait se cacher sous le siège d'examination plutôt que s'asseoir dessus, mais elle respire un bout coup pour reprendre contenance. « Je viens pour une prise de sang ! » Elle lui lance l'objet de cette consultation avec un beau grand sourire pour ne pas trahir l'angoisse qui la taraude. « Je prends la pilule depuis trois mois et mon médecin tient à étudier si tout roule. » Elle explique rapidement avant de reprendre. « Enfin, tu dois avoir l'habitude. » Elle chasse l'anxiété par un simple rire, commençant à pâlir rien qu'à l'idée qu'elle glisse une aiguille entre ses doigts fins. Pourtant, elle la connaît, Azur. Au moins un peu. C'est l'infirmière qui l'a soignée lorsqu'elle s'est blessée au genou en gymnastique et a dû se cloîtrer la jambe dans un bout de plâtre ; l'infirmière aussi qui a entrepris sa première prise de sang, pour vérifier une possible anémie soupçonnée par son médecin. Cette même demoiselle qui sait l'apaiser plus que les autres sorcières ; qu'elle regarde souvent d'un œil admiratif pour sa beauté.

Je crois que ma chef m'en veut, mais réellement. Je pense qu'elle n'a pas toléré mon retour au travail après cette nuit où je me suis fait mal à la jambe, son oeil top aiguisé pour voir que je ne dis pas la vérité sur mon état. Ce n'est pas une malformation de naissance, elle n'est pas dupe, et mon air absent n'est pas dû à une tendance rêveuse. J'ai l'esprit ailleurs, elle le sait, c'est pourquoi elle m'envoie passer quelques semaines dans un autre département plus tranquille que les urgences, que je remette mon esprit en place et que je me remette sur pieds. J'aide donc une infirmière senior dans des contrôles de routines, et même si l'adrénaline est absente, je ressens tout de même la satisfaction nécessaire à la réussite de mon travail. J'aide les gens, c'est ma raison de vivre, de continuer, parce que Dieu sait que j'ai eu besoin d'aide et je ne sais pas où je serais si on m'avait tristement abandonné à mon sort. « Je te laisse t'occuper de Miss Weaver, ça te va ? » me demande la chef du département, ce à quoi je réponds par un grand sourire. Shannen, je ne sais pas pourquoi, je me reconnais pas mal en elle: une petite blonde fougueuse qui prend la vie à cent kilomètres heures. J'espère pour elle que personne ne viendra lui couper son élan, la chute sera probablement rude, comme la mienne. Je la retrouve, quelques instants plus tard, dans cette petite salle d'examen qui semble lui causer un brin d'anxiété. Il est vrai que pour tous ceux qui n'ont pas l'habitude de passer du temps ici, les murs trop blancs et ambiance peut être lourde à porter. « Hello Shannen ! » Ma patiente parle beaucoup, sûrement pour tenter de chasser sa nervosité, ce qui me fait sourire. Définitivement, j'ai l'impression de me revoir à 16 ans, j'espère qu'elle ne fera pas les mêmes erreurs que moi. « T'en fais, tout ira très bien » je lui dis en prenant soin de préparer mon matériel dos à elle qu'elle ne voit pas tous ces tubes et ces aiguilles qui pourraient facilement la faire défaillir. « Tu peux t'étendre, tu seras plus confortable » j'ajoute, une sourire qui se veut bienveillant sur les lèvres. Je n'ai pas envie qu'elle se sente mal à l'aise en ma compagnie, surtout lorsque le sujet que nous devons aborder est un peu délicat, celui de la contraception. Il est vrai que Shannen est en âge d'avoir des relations, moi-même ayant vécu ma première fois l'été de mes seize ans, sauf que j'espère qu'elle fera ça bien. Qu'elle fera ça avec quelqu'un qui l'aime et la respecte, et non pas avec un gars ayant peu de considération dans une pauvre fêtes de lycéens, comme ça a failli être mon cas.

Tout s'est défilé à une vitesse folle dans sa vie ces derniers temps, la rendant mouvementée et troublante. A tel point que Shannen aurait préféré fuir cet entretien médical, ayant une dose suffisante d'angoisse pour en ajouter une supplémentaire. Elle doit affronter son père aux yeux trop bleus, trop semblables aux siens depuis un mois. Ce père absent durant toute sa vie, qu'on lui a longtemps dissimulé, pour des raisons variées - par manque de courage parfois, par manque de lucidité pour sa mère. Et sous cette douleur lancinante qui s'impose lorsqu'elle décide de lui rendre visite dans cette prison, toute aussi lugubre que cet hôpital et accordant ainsi un contraste blasant à son existence, Shannen doit affronter la colère qu'elle ressent toujours à l'égard de Ciaran. Cet homme qui a osé dissimuler un secret bien gardé, à propos de sa relation presque fraternelle avec son géniteur, alors qu'elle a pleuré plus d'une fois entre ses bras en évoquant celui qu'elle n'a jamais connu. Ce même homme qui a réduit à néant son bonheur construit durant plusieurs mois à ses côtés, à qui elle s'est donnée avec passion de nombreuses fois, et à qui elle a offert sa virginité courant Novembre. Cet homme qui rend son cœur affolé, et qui, en même temps, le tourmente avec virulence, le balançant sans répit au cœur de sa poitrine pour le brusquer davantage. Pourtant, Orion l'avait prévenu qu'il fallait se méfier de lui, mais elle n'avait pas su pour quelles raisons... et puis, l'amour est toujours plus fort, pas vrai ? Et il l'est encore aujourd'hui, puisqu'elle a accepté de le retrouver. C'est même à cause de lui qu'elle se trouve aujourd'hui en face d'Azur, car il l'avait poussée à prendre la pilule il y a trois mois. Vérification et contrôle a dit le médecin. Elle se serait bien passée de toute cette affaire, de ce mois de Mars plein d'émotions vives. Et même de cette vérité pour laquelle elle était en quête. Alors elle se retrouve là, par dépit, mais tout de même satisfaite de croiser Azur plutôt que ces autres infirmières qui ne possèdent pas la même délicatesse qu'elle. En quelques paroles, elle tente de l'apaiser, de prendre son temps. Elle lui tourne même le dos lorsqu'elle prépare le matériel, pour lui dissimuler l'arme maudite, cette aiguille qui provoque tant d'angoisse chez l'adolescente. « Mh oui, c'est juste une prise de sang. » Elle commente d'un ton plein de banalité pour camoufler la profonde anxiété qui se loge au creux de ses entrailles. Elle veut paraître forte, comme toutes ces femmes dans les œuvres cinématographiques ; telles les Mulan, Nikita, Kill Bill. Elle en a assez d'être aussi fragile, surtout après ce mois de Mars où sa sensibilité s'est activée sans relâche. Pourtant, lorsqu'elle se lève pour gagner le lit de consultation, après un hochement de tête en direction d'Azur, des tremblements l'agitent et elle se sent toute vacillante. Elle s'allonge toutefois, la tête rivée vers la droite pour n'apercevoir que les déplacements d'Azur, qui se retrouve rapidement près d'elle. Elle tend le bras dénudé en l'air, laissant pendouiller son bracelet offert par Ciaran à Noël, orné d'une paire de patins à glace et d'un mot simple "love". Elle n'observe aucun de ses faits et gestes, garde la tête bien pivotée sur le côté. « Tu as passé une bonne journée ? C'est pas trop dur de travailler ici ? » Elle l'interroge pour que la discussion l'éloigne de sa nervosité, le teint blême et la voix fébrile. Elle a hâte que ce soit fini.

Je sens que quelque chose a changé en Shannen. Notre dernière rencontre remonte à plusieurs semaines déjà, et je sens qu'elle est encore plus femme que la dernière fois. Je ne saurais dire quelle en est la cause, mais à voir son regard pensif et son front se plisser légèrement lorsqu'elle est en pleine réflexion, je dis que quelque chose à changer. J'en viens même à me demander si elle a quelqu'un à qui se confier pour tous ses tracas, sachant que sa mère n'est pas présente avec elle pour ce rendez-vous de routine. Et pourtant, une telle banalité pour moi semble tellement plus stressante pour la jeune fille qui a une peur bleu des aiguilles. Je fais mon possible pour la mettre à l'aise, mais à voir comment elle détourne la tête quand je m'approche d'elle, et ses légers tremblements qui la parcourent, je me dis qu'il aurait été idéale que Shannen ne soit pas laissée seule à elle-même dans un environnement qui la stresse autant. « Tout ira bien, je te le promets. » Je dis en prenant place près d'elle, sachant qu'elle ne me regardera pas faire la prise de sang. Je vois son bras se tendre et remarque au passage ce bracelet. Mes yeux s'accrochent sur la délicate breloque représentant des patins. Mon coeur rate un battement, mais je tente de me maitriser alors que je passe le fin coton imbibé d'alcool sur le bras de ma patiente. « Ça va, j'aime bien les hôpitaux. Enfin, je sais que ce n'est pas pour tout le monde, je les avais en horreur avant. Mais depuis que j'ai compris qu'on aide les gens, je me sens mieux ici. J'aime venir en aide aux autres. » Et je me dis que sans le service des urgences efficace de Londres, je ne serais peut-être même plus capable de marcher aujourd'hui. « J'y vais à trois, d'accord ? Ferme les yeux, tu verras, tout ira bien. Bon, un, deux, trois ! » et la prise de sang début après un mouvement précis et rapide de ma part, évitant à la jeune fille de souffrir plus qu'il n'en faut. D'un geste tout aussi rapide, je camoufle le point où l'aiguille est dans sa chair avec une petite serviette et je me hâte de changer la conversation. « Alors, est-ce que tu fais tu patin ? » D'un hochement de tête, je désigne le bracelet à son poignet alors que je me dépêche de remplir les fioles nécessaire à la réussite de la prise de sang.

Le malaise est perceptible chez l'adolescente, il est possible de le déceler au fond de son regard, dans sa voix et le moindre de ses mouvements. Elle ne peut pas véritablement le camoufler même si elle s’efforce de le faire. Un œil expert comme celui d’Azur ne peut que détecter les angoisses qui la traversent à cet instant, il est complexe de le duper. Elle n’exprime pas sa nervosité, il n’est pas utile de se décharger de ce poids par la parole. Il suffit de la regarder pour comprendre que la gamine qu’elle est encore exècre les aiguilles et les hôpitaux. « OK. » Elle répond simplement quand elle affirme que tout ira bien, parce qu’elle ne possède pas cette force de rétorquer quoi que ce soit. Elle lui fait amplement confiance et sait au fond d’elle qu’Azur fera preuve d’une infime précaution pour s’occuper d’elle, de son âme vite tourmentée. Elle sait aussi qu’elle peut se reposer sur elle sans crainte, juste un court instant qui se finira rapidement. On lui demande seulement un peu de courage et Shannen s’obstine à le maintenir au creux de ses entrailles pour ne pas s’évanouir. Elle tente d’attirer son attention sur un fait différent que la piqûre qui l’attend, et se concentre ainsi sur le métier de l’infirmière. « Vu comme ça... C'est juste que la fragilité s'incruste partout. » Elle commente pour répondre à son impression, expliquant les raisons spécifiques à sa hantise des hôpitaux. Shannen ne supporte pas de percevoir autant de souffrances dans une salle d’attente, de croiser la maladie, la peine et le sang dans un endroit qui devient glauque à ses yeux. Elle détourne toujours les yeux pour ne pas remarquer l’aiguille, sent toutefois un contact humide contre sa peau lorsqu’elle la désinfecte avec un coton. Shannen tente de respirer convenablement, sans que son souffle devienne trop saccadé, comme Azur lui avait appris une fois où elle avait manqué de s’étourdir. « OK. » Elle ferme les yeux comme elle lui conseille de le faire, en répondant à sa mise en garde, prête à sentir l’aiguille s’enfoncer dans sa chair. Pourtant elle se mord la lèvre dans un sanglot de panique et sa respiration se coupe au moment où la douleur se répand en elle. Elle ne supporte pas cette intrusion contre les pores de sa peau, cette sensation d’affliction que ce petit objet lui inflige. Elle prend sur elle pour ne pas défaillir ou perdre ses moyens, recommence à respirer lorsqu’Azur lui pose une question sur le patinage artistique. « Oui, enfin pas depuis longtemps, j'ai commencé que cette année. Je faisais de la gymnastique depuis plusieurs années, mais j'avais envie de changer, de découvrir autre chose. Je trouvais le patinage artistique tellement beau que je me suis laissée tenter. » Elle explique avec douceur, éloignant peu à peu la souffrance de son corps. Azur lui permet de s’apaiser dans ce flot de craintes. « C'est un cadeau de Noël. » Elle précise sans trop savoir pourquoi, sans doute comblée d’avoir reçu ce joli bracelet. Après tout, personne, et surtout pas un garçon, ne lui avait offert un présent. « Et toi, tu fais une activité en dehors de ce métier ? » Elle demande en continuant de respirer péniblement, les paupières toujours closes, n’osant pas les ouvrir.

Je tente tant bien que mal d'alléger l'atmosphère qui semble tant oppresser la jeune fille en déviant la conversation sur un nouveau sujet, mais je pense que la peur des hôpitaux est profondément ancrée en Shannen et il faudra plus que quelques mots pour la rassurer. Je n'ai jamais dégagé de sentiment qui a pour effet de réellement rassurer les autres non plus. On me dit souvent que je suis froide, sarcastique, ironique. Je ferais très certainement un terrible mère: ce qui tombe bien parce que je ne veux pas d'enfants ! Sauf que contrairement aux autres patients, je me reconnais dans cette blonde terrorisée qui garde les yeux fermés afin de ne pas les poser sur cette fine aiguille argentée qui la fait souffrir plus que de raison. Je l'écoute me parler de sa nouvelle passion pour le patinage, réchauffant mon âme par la même occasion. Je me tiens volontairement éloignée de tout ce qui touche à ce sport, un peu comme si je n'avais jamais enfilé de patins de ma vie. Il est tellement plus facile de faire comme si je n'avais jamais eu d'intérêt pour ce sport que d'en faire le deuil, même après toutes ces années. Sauf que je ne sais pas pourquoi, le fait d'avoir un point commun avec ce petit bout de femme qu'est Shannen me rassure: ça m'apaise. J'ai envie d'être là pour elle, et pas seulement lorsque je dois la torturer avec mes fioles pour ses prises de sang. « Si tu as fais de la gymnastique, tu dois trouver que le patin est assez facile. Je veux dire, l'équilibre, l'agilité et la flexibilité, tu dois déjà tout posséder. Et c'est vrai que c'est beau, mais pour ma part je lève mon chapeau à ceux qui font les prouesses sur terre plutôt que sur glace ! » Parce que pour moi, j'étais plus habile sur mes patins que sur le sol. J'en viens presque à me demander si j'aurais pu réussir dans la gymnastique si j'avais tenté ma chance ? Bien vite je chasse ce questionnement de mon esprit, consciente qu'il n'est d'aucune utilité pour moi de m'attarder là-dessus. Un fin sourire étire mes lèvres sa savoir que le délicat bijou a été offert à Shannen, sûrement par un ami, ou un petit-ami ? « Un cadeau, hum ? » Je ne peux m'empêcher de faire ma curieuse, employant un ton léger et invitant à la confidence. Moi aussi, j'avais un ami qui m'offrait des cadeaux de la sorte, j'espère seulement que pour la demoiselle, ça ne finira pas comme moi, pas un coeur brisé et un océan de regrets. « Quand j'avais ton âge, je faisais du patin. J'étais même dans une équipe de compétition à Londres ! » Je ne parle jamais de cette période de ma vie, mais aujourd'hui, j'aborde ces évènements comme de bons souvenirs et non pas des rêves brisés. « J'adorais ça, le patin c'était toute ma vie. Malheureusement, j'ai eu un accident quelques années plus tard et j'ai dû tirer un trait là-dessus. » Je ne m'étale pas sur la nature de mon accident, et ce, volontairement. « Mais toi, parle moi un peu de cette personne qui t'a offert cette délicate attention ? » Je retourne l'attention vers Shannen en passant un doigt sur la breloque de son magnifique bracelet, espérant pouvoir la distraire de cette prise de sang toujours en cours.

Shannen sent l'angoisse la transpercer en plein cœur. C'est un sentiment violent qui l'anime et dévaste son être. Elle ferme les paupières lorsqu'Azur, l'infirmière, lui plante l'aiguille dans le bras pour soutirer plusieurs gouttes de sang. Cette sensation de picotement contre sa peau renforce cette impression de malaise, de nervosité qui s'infiltre au creux de ses entrailles. Elles se caractérisent aussi par ces crampes pénibles à l'estomac, l'augmentation de son rythme cardiaque, cette gorgée serrée et tout son corps en ébullition. Shannen sent que sa peau brûle, qu'elle s'enflamme sous le coup de l'angoisse, de cette adrénaline désagréable. Ses joues prennent certainement une teinte rougie, tandis que ses aisselles secrètent le témoin de son stress permanent. Azur est toutefois dotée de cette patience recommandée, et de cette facilité à la contourner de sa nervosité. Elle évite l'obscurité dans son esprit, la pression au creux de son cœur. Elle la détourne vers une réalité plus gaie, vivement appuyée par ses paupières closes qui camouflent l'aiguille. Le patinage artistique, passion commune, devient la cible de leur échange, lui permettant d'atteindre une forme de sérénité. Elle respire presque normalement. « Oui c'est clair ! Tout semble plus simple, mon expérience en gym me permet d'avoir des acquis nécessaires pour avancer plus vite. C'est un vrai régal, j'imaginais pas prendre autant de plaisir sur la glace. » Elle confirme son hypothèse, sans admettre qu'elle craignait que les différences entre les deux sports soient conséquentes. C'est sa professeur Destiny qui l'a rassurée à ce sujet et qui l'a vivement poussée vers cette nouvelle discipline, croyant en ses capacités d'adaptation. « Enfin je tombe quand même souvent. » Elle rit un instant, avec simplicité, décrochant cette part d'angoisse de sa poitrine. Elle ne sent même plus le sang chaud s'écouler de ses veines.

« Oui, d'un de mes proches. » Elle répond simplement, trop perturbée par le ton curieux d'Azur. Elle ne s'était pas préparée à des questionnements à ce sujet, elle doit encore réfléchir dans sa tête à ce qu'elle pourrait dire sans dénoncer le lien pouvant être jugé de pédophile qu'elle entretient avec Ciaran. Elle ne l'a encore jamais évoqué, elle se contente d'être piégée dans ce secret, de l'aimer à l'abri des regards. Heureusement l'aînée décide de reprendre le sujet du patinage pour étaler un bout de son existence. Quand elle lui annonce avoir pratiqué elle-même ce domaine, Shannen entrouvre les yeux, sans cette peur au bide de croiser l'aiguille, et la contemple avec des yeux gros comme des billes. « C'est vrai ? » Elle l'interroge sans attendre une réponse, seulement sous le coup de la surprise. Sous cette bouse blanche se dissimulait une véritable artiste. L'adolescente n'en revient pas, elle continue de l'observer. « Ah c'est pour ça que tu disais toute à l'heure que tu avais compris que l'hôpital était fait pour aider les gens. C'est à cause de ton accident que tu as trouvé ta nouvelle voie ? » Elle demande en se remémorant ses mots sur son propre métier ; des mots dont le sens ne lui avait pas tout de suite traversé l'esprit. Tout s'éclaire. « Alors si je m'y étais intéressée plus tôt, j'aurais pu te voir à la télé ? » Elle sourit, curieuse de connaître son parcours. Elle ne pose pas de questions sur son accident, elle sent que le sujet est oppressant, détourné. Elle se contente plutôt de se faire la réflexion qu'elle devait être encore plus sublime en patins, à tournoyer sur elle-même avec élégance et délicatesse. Elle trouve ça triste, qu'un rêve se soit brisé, qu'une carrière se soit envolée. « Tu n'en fais plus du tout ? » Elle continue en la scrutant, sans baisser la tête vers son bras. Puis la discussion revient sur Ciaran, et Shannen se sent plus apte à discuter de lui maintenant qu'elles échangent plus intimement. « Oh, mon petit-ami. Plutôt attentionné comme garçon ! C'est un camarade de classe, et je suis avec lui depuis presque 6 mois. C'est mon premier alors ça a fait drôle au début. » Elle admet en mentant simplement sur l'âge du garçon. Elle a ce sourire débile fixé sur la tête, dévoilant combien elle est cramée de son blond. Elle admet aussi qu'il est le premier homme à avoir autant d'importance, le premier à avoir effleuré son corps, à l'avoir fait sienne. Elle s'est donnée à lui trop tôt, mais elle ne regrette pas quand elle constate toutes les belles choses que cet acte a engendrées. « Et toi, tu as quelqu'un dans ta vie ? » Elle demande en fermant de nouveau les yeux, espérant que la fin est proche. Elle ne se doute pas de la complexité de la réponse.