Pourquoi s'est-elle appliquée dans cette manigance frustrante, étudiée et machiavélique, au juste ? Par jalousie, comme il semble le penser ? Certainement, seulement Shannen ne dévoilera jamais cette réalité. Elle possède trop de fierté pour lui annoncer cette nouvelle, pour exprimer les émotions qui l'ont submergée lors de son ébat sexuel. Elle ne veut pas prendre le risque qu'il se foute d'elle, qu'il lui rit au nez et qu'il la juge ridicule ou trop puérile. Il pourrait fracasser son cœur par une taquinerie supplémentaire, même habituelle, et elle refuse de lui accorder ce pouvoir. Alors elle s'étouffe dans son mensonge encore une fois en prétendant un motif qui n'est pas complètement erroné. « Ne t'imagine pas des choses, Ciaran, je tenais seulement à t'emmerder. Une riposte pour le flot de taquineries que tu débites à longueur de journée à mon égard. Vois ça comme une simple vengeance. » Elle s'exclame en donnant l'impression d'être franche, pour qu'il soit persuadé et décide d'arrêter de l'interroger sur ce domaine. « Alors surprenez-moi, Monsieur O'Malley. » Elle hausse un sourcil de manière arrogante, pour le provoquer, avec ce sourire collé aux lèvres. Elle est impatiente de connaître cette sentence, de le voir à l’œuvre. Ils abordent finalement sa relation avec son voisin, inventée de toutes pièces, à laquelle Ciaran s'intéresse. « Oui. » Elle répond simplement lorsqu'elle le sent moins évasif et enthousiaste face à cette discussion. « Je n'ai pas envie d'avoir un gosse donc ne t'en fais pas, je ne vais pas prendre de risques inutiles. » Elle commente doucement en continuant de l'observer. Ils finissent par s'asseoir sur le canapé, à se taquiner et à fumer une clope. Elle crapote, recrache la fumée en l'admirant au passage. « Je préfère quand tu te comportes comme un adulte irresponsable qui pousse une jeune fille innocente à l'abus. » Elle rit ensuite quand il l'insulte de môme arrogante. Ce n'est pas faux, elle commence à s'affirmer. Sans doute grâce à Ciaran et aux airs taquins fréquents qu'il lui adresse chaque fois. Il lui donne l'envie de rétorquer, de répliquer, de lutter contre son éternel sourire moqueur, pour le fracasser en deux, pour lui tenir tête. Elle a le désir de devenir une petite teigne pour lui faire ravaler ses taquineries et ses rires de grand monsieur. Et il semblerait qu'elle y parvienne - ou moins ne serait-ce qu'un peu.

Shannen fouille finalement ses poches, se permettant d'attraper la boîte de clopes coincée dans l'une. Elle découvre la marque et s'avère curieuse. Ciaran lui confie le prix exorbitant de ses cigarettes et Shannen adopte un air ahuri en guise de réponse. Elle est étonnée de la valeur de ce paquet, que peu doivent acquérir. Il est comme Ciaran : beaucoup de richesse intérieure, d'élégance, si bien que peu de gens peuvent le posséder dans leurs existences. Il doit avoir que trois personnes vraiment importantes dans son entourage, dont Summer bien évidemment. « Tu te fais pas chier à ce que je vois ! » Elle se fait la réflexion que cette marque de cigarettes coïncide indéniablement avec sa personnalité : élégante, originale et obscure. Elle sourit lorsqu'elle découvre le paquet, qu'elle méconnaissait par ailleurs, trop habituée à être entourée de paquets de Malboro, car ce choix est remarquable, mais assez évident. Ciaran est un original, comme ses clopes. « Il y a des femmes fatales qui fument, mais elles ont la classe faut dire. Elles possèdent l'élégance même dans leur manière de fumer. Mais ouais, tu as raison, de toute façon c'est rare et je n'ai pas envie d'être accro à ça. Je préfère être accro aux framboises. » Elle hausse les épaules en riant, amusée par cette conversation. Il lui permet de se livrer aux vices tout en la guettant d'un œil protecteur. Il demeure présent pour la pousser vers le haut, pour lui apporter des conseils avisés. Et cette contradiction chez Ciaran, cette faculté à se faire écouter malgré tout, est quelque chose qui le rend immanquablement attirant.

Il réclame une vérité qu’il obtient en partie. Il écoute ses propos, mais cela semble lui manquer de sincérité. Du moins, dans sa manière de concevoir les choses. « OK. » Son ton demeure sérieux. « Je n’imaginais rien. Je ne vois pas quel intérêt cela pourrait me faire de te rendre jalouse. » Il fait mine que ses propos n’étaient pas sérieux, qu’il cherchait juste à la taquiner et qu’au fond la vérité lui emporte peu. Il prétend n’avoir aucun intérêt particulier envers l’adolescente. « On n’est clairement pas dans la même cour, toi et moi. » Sa franchise éclate, comme un rappel à l’ordre autant pour lui que pour elle. L’impertinence de l’adolescente l’invite à replacer leur position sans en prendre conscience. S’il demeure aussi désinvolte que d’habitude, il s’efforce d’éviter que la situation ne dérape. Pourtant, sa curiosité avivée par les propos de l’adolescente, la posture féminine et adulte qu’elle adopte, devient de nouveau un danger pour lui. Ce pincement au niveau de la poitrine est dérangeant, désagréable et il se fait un plaisir de l’ignorer en mettant fin à cette confrontation, qui ne mènerait à rien. Ils ne sont clairement pas dans la même cour. Il est un homme, elle, une femme en devenir, elle doit s’amuser avec les jeunes hommes de son âge. Il ne doute pas que les traits élégants et jeunes des hommes de la vingtaine l’attirent. Bien plus attirants que les siens. C’est la nature qui le veut. « Sage décision. » Il commente pour ne pas prendre plus de risques inconsidérés. Il lui laisse accéder à une de ses cigarettes, renie la posture paternelle qu’elle aimerait lui attribuer. « À l’abus ? » Il questionne simplement avant d’évoquer qu’il la trouve bien arrogante aujourd’hui. Cela l’amuse et il doit avouer qu’une part de lui est satisfaite de cette réalité. Il sait qu’elle ne se fera pas marcher sur les pieds par un homme qui voudrait assurer sa dominance sur elle. C’est un bon point. Il finit par se laisser aller aux effets agréables de la dose de nicotine qui coule dans ses veines. Il savoure, sent la demoiselle agir contre lui, attraper son paquet dans sa poche. Un geste qui pourrait se révéler dangereux, mais qu’il ne commente pas. Il la renseigne sur le prix, crée la surprise. « Je ne fume pas n’importe quelle cigarette. Je suis très exigeant sur la drogue que j’ingurgite. » Il est prêt à mettre le prix pour éviter de se détruire la santé plus fortement en ingurgitant des substances nocives de mauvaise qualité. « Je choisis toujours les meilleures choses. » Il ajoute en venant lui voler sa cigarette qu’il glisse entre ses lèvres avant de la lui rendre. Il émet l’idée qu’elle ne devrait pas fumer pour garder sa beauté juvénile, mais plus tard féminine. Il serait dommage que les effets de la cigarette ternissent l’éclat de la fleur qu’elle devient. Il use de ses arguments pour la convaincre et la flatter par la même occasion. Il semble y parvenir, puisqu’elle déclare ne pas vouloir devenir accro à la nicotine. « C’est un vice qui te convient le plus, j’avoue. » Il lance dans un sourire amusé alors qu’il entend le son de la porte s’ouvrir. La bouille de sa chère fille apparait dans le cadre de la porte alors qu’il se lève. « Bon, je fuis avant d’être choqué par vos cris hystériques. » Il rit, bat en retraite en venant récupérer son paquet de clopes. Il dépose un baiser sur la joue de sa fille. « J’ai cru comprendre que Shannen avait un tas de choses à te raconter. Je vais me caller dans la chambre pour me reposer. » Un moyen de les prévenir de ne pas faire trop de bruits. Au fond, il n’a pas envie d’entendre l’adolescente s’extasier sur ce jeune homme qui honore ses formes, bien qu’il ne l’admettra pas.

Les taquineries se mêlent aux phrases qui accrochent le coeur, le transpercent aussi en profondeur. A force de vouloir jouer, le charrier, Shannen a activé le lion dissimulé sous la carapace bienveillante et agréable de Ciaran. Il devient plus froid, plus brute aussi, mais surtout plus mesquin au niveau de ses répliques. Shannen ne réagit pas de premier abord, le laisse se décharger de ses frustrations. Elle le laisse même prétendre qu'ils ne jouent absolument pas dans la même cour tous les deux, qu'il ne voit aucun intérêt à la rendre jalouse. Aurait-t-elle commis une erreur de jugement ? Elle ne croit pas. Pourtant ses mots crus et empreints de ce qui s'apparente à une franchise glaciale, la bouleversent, la brisent en deux. Son regard semblait vraiment provocateur et moqueur lorsqu'elle a observé son corps dénudé en mouvement contre celui de cette charmante demoiselle blonde. Elle tient à chasser ses doutes pour qu'il lui confirme qu'elle se faisait certainement des idées. Si la vérité se glisse de ses lèvres, alors Shannen mettrait quelques jours à s'en remettre. Elle avait vraiment cru, durant cet instant de plénitude, que quelque chose de particulier les reliait. Ses yeux étaient pénétrants, ils domptaient son âme d'une manière à vous retourner le cœur. Il la sondait avec trop d'insistance pour qu'elle retire de sa tête l'idée d'une symbiose entre eux. « Alors c'était quoi ce regard ? Je l'ai bien reconnu, c'est celui que tu utilises chaque fois que tu as l'intention de me narguer ou me provoquer. » Elle attend la question : "quel regard ?" ; comme s'il ignorait ce qu'elle évoquait, comme s'il avait été absent de cette ambiance ensorcelante dans laquelle ils se sont enfoncés durant plusieurs minutes. Et si cette interrogation, pleine d'innocence, mais débordante d'hypocrisie, franchissait ses lèvres, alors la blondinette aurait envie de lui trucider son cœur à lui aussi. Mais non, il lui répond une phrase pleine d'arrogance qui contredit totalement son hypothèse. « C'est vrai. La situation était amusante et tu t'es bien rincée l’œil. Rien de plus. » Elle ne prend pas la peine de répondre à cette démonstration de prétention. « Oui, certainement. » Elle répond finalement à propos du fait qu'ils ne fassent pas partie du même rang. Son cœur se fracasse à l'intérieur de sa poitrine, a perdu son rythme endiablé, mais elle ne le laisse jamais transparaître. Pas un instant elle ne démontre sa déception, sa peine aussi, même si cette émotion doit être perceptible au fond de ses prunelles. Elle est tout simplement affectée par la cruauté à laquelle il s'est livré gratuitement. Elle ne sait plus quoi penser de lui, d'eux, de cette situation singulière où le malaise est à proximité. « Aux vices si tu préfères. » Elle reprend pour qu'il comprenne mieux, en sous-entendant les cigarettes. Elle termine assise sur le canapé à ses côtés, une cigarette au creux de sa bouche. Il lui explique qu'il choisit toujours les meilleures choses, qu'il est très exigeant sur la drogue qu'il ingurgite. Cela la fait sourire tendrement, tout simplement parce qu'elle le reconnaît dans ces informations transmises. Ciaran ou l'élégance même... Il lui attrape la clope qu'elle tient entre ses doigts, pour aspirer une bouffée, puis la repose entre ses lèvres. Elle fume une dernière fois avant de l'éteindre et de parsemer de cendres le petit pot en verre. Elle n'a pas le temps de répondre que sa meilleure amie débarque enfin à l'intérieur du domicile. « Summer ! » Elle s'écrie avec joie avant d'avancer vers elle pour la prendre entre ses bras. Elle ne fait même plus attention à Ciaran, trop enjouée de la retrouver et de pouvoir étaler ses sources de bonheur. Elles s'isolent dans sa chambre et commencent à discuter. « Je pars pour Londres dans quelques mois avec ma mère ! Le premier week-end de Mars je crois. » Elle s'exclame accompagnée d'un bonheur évident, en prenant le soin de ne pas hurler pour que les oreilles de Ciaran n'intègrent pas cette réalité.