Lucal

Une consultation de routine

Encore une journée bien chargée qui s’annonce pour moi. Je sens que je ne vais pas voir le temps passer. Je reprenais ma garde de 72 h aujourd’hui par des rendez-vous de suivi. En gros rien de bien méchant. Mais je les enchainais et donc je n’avais pas vraiment le temps de m’attarder. Pourtant je détestais enchainer les rendez-vous et ne pas prendre le temps d’ausculter les patients. Du coup j’étais souvent, pour ne pas dire tout le temps, en retard sur mes rendez-vous, surtout que parfois je m’attardais avec certains patients. Arrivant dans mon bureau, je prends le temps de voir les transmissions de la veille de la part de mes collègues. Et après c’était parti pour la session de rendez-vous, en espérant qu’il n’y ait pas trop d’urgences entre temps qui m’empêcheront d’honorer tout mes rendez-vous.

C’est vers le milieu de la matinée qu’un nom retient mon attention : Callaghan. Je me rappelle vaguement de la situation. Un enfant qui avait chuté, il me semble. Je n’en suis plus vraiment certain. Mais le temps de me plonger rapidement dans le dossier et tout serait bon. Je m’y plonge rapidement avant d’aller les accueillir. J’ai déjà une bonne demi-heure de retard et je ne vais pas en rajouter davantage. Arrivant dans le couloir je m’écris « Monsieur Callaghan ? » je scrute des yeux avant de voir un bambin de deux ans se mettre à courir et le regard d’un beau brun affolé. Un sourire rassurant sur mon visage, ce n’est pas si grave. Les laissant entrer, je referme la porte derrière eux. « Alors comment ça va depuis la dernière fois. » Je me rappelle maintenant ce qui m’avait marqué chez ce bambin : c’était la panique que j’avais ressenti chez ce jeune père. Heureusement rien de grave n’était arrivé. Et je le voyais que pour un contrôle de routine, qui va probablement se révéler très positif au vu de la forme de l’enfant. Tant mieux. Même si une légère déception, que je ne saurais interprété, monte en moi

Lucal

Une consultation de routine

Ce qui est le plus difficile dans mon travail, ce n’est pas de soigner les enfants, qui sont plutôt compréhensifs, et qui ne veulent qu’une chose : ne plus avoir de bobo et plus de mal. Non, ce qui est vraiment le plus difficile c’est de gérer les parents anxieux que leur progéniture ait quelque chose de grave. Il faut savoir faire preuve d’empathie, de tact et surtout de professionnalisme : savoir ne pas se laisser envahir par l’inquiétude des parents. Rester objectif en tout temps et sans brusquer les parents, tout en les remettant dans une réalité qui n’est pas toujours joyeuse. J’avais toujours à cœur de les accompagner jusqu’au bout. De plus, en étant chef de service, j’ai toujours le devoir et la responsabilité de toutes les familles qui passent par mon service. Et, souvent, sachant faire preuve de sang-froid et de distance, quand certains parents posent quelques problèmes à mon équipe, c’est moi qui les prend en charge. Malgré mon jeune âge, le fait d’être à la tête de ce service n’est guère étonnant pour mon équipe, dont la moyenne d’âge me dépasse. Mais le fonctionnement de l’équipe est basé sur la communication. Ce n’est pas toujours évident, mais on s’en sort plutôt pas mal. Chacun à sa part de travail et sait ce qu’il doit faire. Ce matin, après avoir récolté les informations de la nuit, je pars en consultation, même si ce n’est pas vraiment mon moment préféré. C’est assez routinier, et surtout que, au vu de l’agenda, ce n’est que des contrôles de routine. Rien d’excitant donc, mais cela calme un peu l’effervescence des urgences où on n’a guère le temps de se poser. En arrivant je remarque d’un rapide coup d’œil que la salle d’attente est déjà pleine à craquer, avec des gamins qui jouent dans tous les coins, créant un semblant d’atmosphère joyeuse. J’avais voulu ce service ainsi, gorgé de jouets pour les gamins afin de leur faire oublier la morosité de l’hôpital, surtout lorsqu’il s’apprêtait à entrer dans une période d’hospitalisation assez longue. J’ai d’ailleurs hâte d’être à ma pause pour aller faire mon tour quotidien de ces gamins. Ils ont souvent besoin de compagnie, et les parents aussi. Parfois il m’arrivait de rester déjeuner dans une chambre pour que les parents puissent souffler un peu. Mais je n’ai malheureusement pas le temps d’y penser maintenant car j’ai pris un peu beaucoup de retard dans mes rendez-vous et que je vais devoir probablement raccourcir ma pause de ce midi. Je jette un coup d’œil rapide avant de ressortir en salle d’attente et d’appeler mon prochain patient. Une petite tête surexcitée déboule vers moi, m’arrachant un sourire, tandis qu’une autre brune, au regard inquiet s’avance. Je reconnais ce visage, qui m’arrache également un sourire. Il m’avait sorti d’un sacré pétrin avec ma voiture. Je referme la porte derrière eux avec l’idée que j’allais prendre mon temps avec ce jeune patient. Ce n’est pas avec eux que je vais rattraper mon retard. « Comme tout parent, c’est tout à fait normal, il n’y a pas de quoi avoir honte. » Je te souris pour te rassurer, je sais que si j’étais père je serais certainement le pire des parents pour ça. Et puis l’hyper-vigilance peut avoir des effets bénéfiques parfois, même si verser dans l’excès n’est pas bon. Mais trouver le juste milieu n’est pas forcément évident. Je les laisse s’installer avant de prendre ma place derrière le bureau. Je les observe, un sourire attaché à mes lèvres. Je t’écoute attentivement. « Je pense qu’il a dû ressentir votre inquiétude puissance mille. Et il a dû se faire une sacré frayeur, n’est-ce pas bonhomme ? » Je me tourne vers Logan pour le questionner. J’affiche un sourire avenant. Je reporte ensuite mon attention vers toi pour t’écouter. « Les enfants ressentent toutes nos émotions sans filtre, comme nous. Mais vous semblez vous en sortir haut la main d’après ce que je vois. » Je ne peux pas juger car je ne vous ai vu qu’une fois, lors des urgences. Je me lève, attrape le nounours qui fait la taille d’un enfant. « tu viens bonhomme ? » Je me dirige vers le coin auscultation.

Lucal

Une consultation de routine

si parfois je peux prendre jusqu'à une heure de retard dans mes consultations prises en avance, quand elles ne sont pas repoussées pour cause d'urgence, c'est probablement parce que j'aime mon métier et que je m'y consacre corps et âmes. Faire des heures supplémentaires, ça ne me fait pas peur, ni même prolongé ma garde. J'étais pleinement investit dans mon travail. Cet investissement est probablement une des qualités qui m'a fait monté en responsable du secteur pédiatrique si jeune. La plupart de mon équipe est plus âgée. Et si au départ les relations étaient quelque peu entâchées de jalousie, cela s'est rapidement dissipé pour laisser place à une relation de confiance avec chacun des membres de mon équipe. Ils savaient qu'ils pouvaient compter sur moi et vice-versa. Je n'étais pas du genre à ne pas assumer ma responsabilité quand mon équipe pêchait quelque part. On se serrait les coudes et on avançait ensemble. C'est grâce à cela que notre réputation était aussi bonne, et que probablement les candidatures pour mon service s'accumulait encore et encore sans que je ne puisse, malheureusement, y répondre favorablement. Le directeur de l'hôpital, bien conscient que l'hôpital grimpait en réputation était au petit soin pour moi, et donc par connivence pour mon équipe. Même si c'était quelque chose que j'abhorrais, c'était assez plaisant de le savoir. Mais ce n'est pas le sujet de ce rendez-vous. S'il y a quelque chose qui ne me fait pas défaut, c'est également ma mémoire des visages. Et je me rappelait plus que bien de ces deux visages, et plus particulièrement de celui de l'adulte. Parce que tu ne me laissais pas de marbre, et que je t'avais revu dans ce garage, où tu m'avais littéralement sauvé la mise en dépannant ma voiture en un temps record, me sortant donc d'un merdier inextricable. Je gardais dans un coin de la tête que je devais absolument trouver un moyen de te remercier. Mais je ne sais pas comment, et je ne veux pas que tu perçoives cela comme des avances, car je suis loin d'être prêt, même après plusieurs années, à reprendre le chemin de la drague, et de toute manière je suis vraiment nul pour cela. Alors, je me tourne vers le boulot, seul sujet où je suis complètement à l'aise. Je tente de te rassurer quand au fait que tout parent est irraisonnable quand il s'agit de son enfant, qu'un rien peut les angoisser. Je souris à la réaction de ton gamin, c'est un vrai régal ce genre de consultation, où les gamins sont coopératifs, et surtout très éveillé comme lui. aucun doute que tu as fais du bon boulot, même si tu penses ne pas être un bon exemple. Je hausse les épaules avant de secouer la tête à ton pardon " Pas besoin de t'excuser" Je ne vois pas pourquoi tu devrais t'excuser de jouer ton rôle de père. Logan semble encore quelque peu tendu à l'idée de te lâcher, mais ça ne me dérange pas. " Vous pouvez rester près de lui si vous voulez, ça ne va pas me déranger dans mon examen. " J'ai déjà vu pire de toute manière je dois m'adapter à toutes les situations, ce n'est pas aux patients de s'adapter. Je fais le tour du bureau avant de m'accroupir pour être à hauteur de Logan " Est-ce que tu veux écouter ton cœur faire battre ? " J'attends sa réponse avant de relever mes yeux vers toi. " Je suis certain que ce n'est pas vrai. En tout cas le comportement de votre fils est aux antipode d'un comportement d'un fils qui a un mauvais père. " Je souris doucement alors que je commence l'auscultation. Mais il n'y a vraiment rien à dire. Je donne le stéthoscope à Logan pour qu'il s'amuse avec. " Il est en parfaite santé, donc je pense que ce n'est pas la peine que l'on se revoit dans l'immédiat. Si jamais vous avez le moindre soucis, n'hésitez pas à reprendre un rendez-vous, ou à passer un coup de fil au service..." Je souris, souvent cela sonnait la fin de la consultation, mais je dois bien avouer que je n'ai pas très envie d'y mettre fin, ta présence étant très agréable. " Est-ce que vous avez des questions ? " JE plante mes yeux dans les tiens en attendant ta réponse.

Lucal

Une consultation de routine

Peu de médecins appréciaient l'enchaînement des rendez-vous. C'était épuisant, j'en conviens, mais totalement nécessaire pour la guérison de n'importe quel patient. Il fallait en passer par là, et surpasser son propre épuisement pour le bien-être de tout le monde. De plus il fallait énormément de patience avec les enfants, certains ne se laissent pas approcher aussi facilement que ce petit homme. De plus il faut parfois faire preuve de persuasion et de distraction pour parvenir à examiner un bout de chou. Lorsque j'accueillais de nouveaux patients, on me faisait souvent remarquer que j'étais plus doux que les autres médecins qu'ils avaient rencontré auparavant. Je me contentais souvent de ne hausser les épaules, je n'entrais pas dans le jeu de la guerre entre confrères. Franchement il y avait bien plus important que cela. Et s'ils ne sont pas assez patients, ce n'est pas à moi de les dénoncer. Moi je me concentre sur mes propres patients et actuellement sur Logan. L'examen clinique est tout ce qu'il y a de bon, du coup je ne m'attarde pas dans d'autres examens complémentaires qui se révéleraient inutiles et feront probablement perdre la patience à ce jeune patient. Je le laisse s'amuser tandis que je retourne derrière mon bureau pour terminer de compléter le dossier avant de l'enregistrer. Je remarque que tu rougis un peu plus, ce qui me fait sourire même si je ne le fais pas remarquer. Tu me bouscules, moi qui a tendance à paraître quelque peu désintéressé face aux autres, aux adultes, qui refuse de me lancer dans une quelconque relation, surtout quand il y a une certaine attirance. J'ai tendance à fuir habituellement. Mais, c'est comme si je ne parvenais pas à rester insensible à ton charme naturel. Pourtant il est bel et bien hors de question que je ne craque pour ça. L'idée d'être amoureux et surtout en couple a été rayé de ma vie il y a bien des années. Je fuis tous les mecs. Tout cela a cause d'un choix qui s'est révélé complètement désastreux. J'aurais déjà dû tourner la page il y a bien longtemps, mais, malheureusement ce n'est pas le cas. Alors je ne prends plus de risques et de toute manière mon travail me prend trop de temps pour que je ne songe à changer la donne. Et je préfère consacrer ma vie aux petits bout de chou qui n'ont pas demandé à ce que la vie les malmène. En dix ans je n'ai pas eu une seule conquête et je dois bien avouer que cela ne m'a jamais dérangé, et pourtant, aujourd'hui il y a un minime changement : je trouve un certain intérêt au père d'un patient, pourtant je ne sais rien de toi et c'est bien mieux ainsi, mais je ne peux pas m'empêcher d'être curieux à ton égard. Tu me remercies d'avoir pris le temps de soigner ton enfant, ce qui me fait secouer la tête avec un léger rire. " Il n'y a pas de quoi, c'est mon métier." Je te tends les papiers pour envoyer à la mutuelle, avant de sourire. tu t'excuse de me demander comment ma voiture fonctionne, je trouve ça mignon. " Pas de mal. Elle fonctionne du tonnerre, vous m'avez vraiment sauvé la mise ce jour-là, j'ai failli râter une opération urgente." Je souris, vraiment reconnaissant envers toi d'avoir fait un vrai miracle. Je me lève alors que tu fais de même et te tends la main pour serrer la tienne. Un choc électrique parcourt mon corps, sensation bizarre alors que ma main reste quelques secondes de trop dans la tienne. Je retire néanmoins ma main pour vous ouvrir la porte. " À bientôt peut-être ?"