[ces titres x.dolan auront ma mort.]

y a cette pression qu’on extériorise pas mais qui est partout à la fois. ça flotte dans l’air comme une odeur sucré à laquelle on se raccroche. c’est comme un souvenir qu’on ne veut surtout pas oublier; ça fait vrombir les tempes, ça assomme les pensées désuètes d’un uppercut dans le ventre. ça doit être ça ce poids, dans l’estomac. c’est du freaking out de haute volée, je suis totalement paniquée. je scrute les pas, le jury, les sourires, les notes qui s’écrasent sur le papier dans un tourbillon. un gribouillage. une rature. évidemment que j’vois rien, évidemment que j’angoisse aussi. le résultat, dans le fond, je m’en fiche un peu. j’veux juste qu’elle s’donne sans rien regretter. j’veux qu’elle soit bien, qu’elle soit fière de sa prestation. moi j’ai pas besoin de ça, de ces gymnases ou de ces prix. mais moi on me prenait toujours en dernier dans l’équipe de l’école alors c’est pas comparable. je m’y intéresse sans comprendre. je bouquine ici et là. je tente de rattraper mon retard sur la question. c’est au-delà de mon domaine d’expertise; moi j’suis toujours qu’un simple chauffeur-livreur. c’est presque trop scénique pour moi, ça fait écarquiller les yeux, étirer les lèvres pour un écran de fumée. rien de très ingénieux, parfois. souvent, c’est simplement de l'esbroufe. ça sonne quand même merveilleusement bien tous ces enchaînements. pieds joints. bras tendus. les muscles se détendent, les poumons se refont la belle dans un vrombissement sourd alors que je lui adresse un sourire encourageant et enthousiaste. devant moi, ça se donne des coups de coudes imbéciles. ça se fait des films pour un sourire évanoui dans la foule comme un songe. d’été. comme une brise, légère, discontinue. elle est resplendissante à mes yeux, mais pas qu’aux miens malheureusement. c’est l’état naturel des choses je suppose. ça va juste faire: bizarre. j’vais juste me prendre vingt ans de plus dans la gueule.
les résultats sont annoncés alors que j’admire sa surprise. jouée ou pas. peu importe puisque je dois avoir un de ces sourires niais sur la face. c’est ultra réconfortant de savoir qu’elle ne fait pas tous ces efforts dans le vent. que ça paie. « hey chérie, » clin d’oeil. foiré. amusant malgré lui. je nous fraie un chemin à travers le hall pour enfin revoir la lumière du jour. il fait beau alors autant en profiter pour aller manger une glace avant de devoir rentrer. c’est ce qu’on fait généralement: manger une glace. on parle un peu, on se fait quelques confidences. bon j’suis pas sa ‘meilleure amie’ à qui elle part tout raconter mais quand même. j’espère ne pas être complètement largué de ce côté-là. « tu rigoles? tu sais bien que si je peux. je viens toujours avec plaisir. puis c’est encore mieux quand tu montes sur le podium à la fin. » je m’arrête un instant pour passer commande. « un vanille s'il vous plaît. » le serveur repart rapidement sur un sourire entendu alors que j’affiche, pour ma part, un sourire complice à l’intention de shannen. « évidemment qu’on dira rien. surtout que ça va encore être ma faute. »

[ça se voit pas que je suis amoureuse de ces textes depuis 5 ans.   ]

L'adolescence est synonyme de crises, haine injustifiée à l'égard de l'entourage et du monde, mais surtout d'une hargne envers ceux qui tendraient la main coûte que coûte pour nous relever, dans les épreuves à surmonter, en cas de chutes, et même dans les réussites. Kenan ne fait pas exception et accorde à Shannen la fierté coincée dans les yeux, avant même de connaître le résultat. Il déverse en elle ce sentiment vital et indéfectible, et rien qu'elle pourrait causer ne parviendrait à détruire ne serait-ce qu'une once de cet amour paternel. Shannen n'a pas encore formé une véritable tempête dans son propre appartement, même si la rage la consume quand sa mère lui dicte les actions à entreprendre ou répète sans relâche des éléments qu'elle a évoqués la veille. Quant à son père, Shannen lui témoigne une affection naturelle, qu'elle lui transmet par des instants emplis de simplicité, mais aussi cette pointe d'admiration pour ses dures heures de labeur. Il maintient la famille à flot, malgré le cercle vicieux de pauvreté dans lequel ils s'enfoncent chaque jour ; mais il se tue au boulot, quitte le domicile plusieurs jours. Il trouve quand même le moyen d'être présent, pour sa femme, pour sa fille, dans les coups d'joie, dans les coups durs. Il est là et Shannen savoure, tout le temps. Elle aime les moments qu'elle passe avec lui. Elle aime sentir son bras se glisser contre son épaule pour la presser délicatement contre lui. Elle aime quand il dévoile sa fierté de l'apercevoir sur le podium sans trop lui mettre la pression pour les concours à venir. Elle aime quand son intention est un clin d'oeil complice mais qu'il échoue en fermant les deux paupières ; elle aime quand il cède à ses caprices, tout en sévissant quand il faut. Elle aime quand il la défend lord des réunions parents - professeurs, lorsque son enseignant de mathématiques ose affirmer qu'elle ne bosse pas assez - alors qu'il l'aperçoit souvent, plongée dans les livres. Elle aime sa délicatesse, sa manière de la pousser aux confidences sans jamais trop approfondir, de peur de la brusquer. Elle aime quand il revient de ses livraisons avec un cadeau entre les doigts, et son visage impassible, comme si ce n'était jamais suffisant. Comme si le gouffre financier engendrait le gouffre du cœur. Elle aime être auprès de lui, le sentir, juste là, et elle aime ce sentiment de protection quasi constant ; cette impression que rien ne pourrait jamais lui arriver, tant que sa place demeure auprès d'elle. Elle aime son père et l'atmosphère chaleureuse qu'il traîne derrière lui comme une ombre. « Toujours ta faute. Elle dirait que tu me gaves de sucre. » Elle aime aussi cette manière de pouvoir parler librement de sa mère, sans que la complicité ne s'envole. « Vous faîtes un truc pour la St Valentin ? Votre éternel dîner romantique ? » Elle aime aussi quand il reste en retrait, sans la harceler, lorsqu'elle décide d'attraper son portable fourré dans la poche pour écrire un message. Elle tapote avant de se laisser distraire par le serveur qui dépose leurs sucreries sur la table. « Je peux goûter ? » Elle pointe son regard lumineux dans le sien, dévorant son milkshake des yeux. "Goûter" ou plutôt apprivoiser de nouveau le goût somptueux mais familier dont ils se délectent fréquemment.

Alors, si seulement il ne s'était pas envolé, son existence aurait gagné en bonheur.

[à peine je te rassure. ]

esquisse, sourire. sourire qui casse pas trois pattes à un canard, sourire espiègle d’un enfant de cinq ans. juste un sourire que je dissimule très mal sous cette barbe prépondérante. je ferais mieux de la tailler, pour le boulot au moins, pour ma femme ensuite. j’ai pas la valeur morale d’aristote ou de platon. je ne vais pas me complaire dans une bouillabaisse de bons sentiments dégoulinants. faire le publicitaire, c’est pas mon job. on verra ça demain, si j’me retrouve à vendre des roses à la sauvette. de l’amour tombé du camion. « mais je te gave de sucre. » j’fais pas vraiment attention, ouais, si j’peux commander des pizzas le vendredi soir, j’le fais. ça me fait toujours qu’un découvert de cent balles à la fin du mois. j’ai jamais supporté d’vivre comme un rat parce que shannen, elle mérite pas de vivre comme ça. sur le fil, constamment. et j’pense que j’ai pas mérité non plus même si je m’en contente, j’vais pas jouer les barons de la drogue non plus, faut pas dec. j’ai pas les épaules assez larges pour prétendre à mieux. on n’aura jamais mieux, parce que cette ville c’est une fosse. et que j’ai l’impression d’être un putain de funambule. d’avancer sans filet; avec les crocodiles juste en dessous. c’est pas la folie. c’est pas la folie de dormir dans un camion, sur l’autoroute. le café avalé trop vite qui nique la langue. de piquer du nez au volant. d’avoir les mains qui tremblent. de serrer fort le cuir bon marché. overdose de caféine. je préférais mille fois avoir le cul derrière un bureau à faire des bilans comptables toute la journée. de rentrer chez moi le soir, à la même heure, de lire le journal le matin. quitte à ramener du boulot chez moi ; mais j’ai que ça: ces stupides conserves. et shannen, c’est la clef de voûte, c’est elle qui fait tenir l’édifice malgré elle, déjà bancale et effrité par les raz-de-marée. je pourrais tourner bien plus mal que ça. me niquer le foie. mais j’peux pas. j’peux plus depuis seize ans. même si, aujourd’hui, ça donne un effet refrain populaire. rengaine. vieux couple. « bah, on ne va pas se regarder dans le blanc des yeux en mangeant une moussaka à la maison. évidemment qu’on va sortir. » je regarde le serveur nous apporter les deux milkshakes, intrigué. « et toi alors, qu’est-ce que tu nous prépares? t’as personne à présenter à ton vieux père cette année? » sourire angélique. évidemment que j’essaie de lui soutirer des infos. et évidemment que j’suis pas si vieux que ça, j’espère. j’espère aussi qu’elle tombera sur quelqu’un de bien. sinon, coup de batte dans le crâne. j’rigole qu’à moitié.
je lève les yeux au ciel en souriant. « ne me vide pas la moitié, hein. » je pousse légèrement mon milkshake vers shannen avant de m’emparer du sien. histoire de pas trop perdre au change. c’est super bon.

La complicité entre le père et la fille est évidente, palpable. Elle est perceptible, bloquée aux coins des yeux, au creux du coeur. Elle se faufile, les compresse, les entoure telle une ombre, sans se faufiler à l'horizon. Les zones sombres ne semblent pas pouvoir gagner leur bulle agréable de réconfort ; cette bulle qui illumine leurs journées et qui s'accorde aux rayons lumineux du soleil d'hiver. Le soleil qui te pète les yeux et qui te chauffe légèrement, mais pas suffisamment pour que tu abandonnes ton manteau sur le bord de ton siège ou le jettes au fond de l'armoire comme un malpropre. Ils sont deux âmes gaies et solitaire qui s'accrochent à cette étincelle de joie, deux individus fous qui savourent la brise fraîche de la terrasse. Ils se titillent, se taquinent, se scrutent avec ce regard teinté d'amusement. Le vent qui ébouriffe les cheveux ne surpasse pas la chaleur qui se répand au creux de leurs poitrines. « Tu n'y peux rien si j'ai envie de sucre. » Elle commente avec cette innocence, plongeant ses yeux dans les siens. Mais elle y peut quelque chose à sa hantise de lui refuser, de lui dire un non. Il lui rétorque finalement avec cette répartie qui l'étouffe dans un rire franc, lui donnant l'impression qu'il a toujours cette audace de lui dévoiler l'évidence même, de jouer à l'arrogant, alors que la plupart des parents se seraient contentés d'un banal « oui, et toi tu fais quoi ? ». « Tant mieux, ça arrange bien mes soucis. » Elle répond avec ce même dédain dans la voix, sans quitter son perpétuel sourire d'ange. « Non, personne. Je suis pas encore assez folle pour procéder aux présentations... » Elle lève les yeux, n'en dévoile pas davantage pour le faire mariner un peu. Elle n'a pas envie de présenter les garçons qu'elle fréquente, parce qu'elle sait qu'au moindre malentendu, son poing se logerait contre le nez du concerné. Et pas que d'ailleurs. Il le massacrerait jusqu'à ce qu'il ait vu suffisamment de sang se glisser hors de ses orifices. Shannen tapote sur son portable puis témoigne son envie de goûter à son milkshake. Il lui prévient de ne pas lui vider la moitié... il a rêvé, celui-là. S'il avait fait un détour en prison, elle n'aurait pas eu besoin de lui avaler le sien. Elle passe la paille entre ses dents et commence à absorber et goûter, épuisant sa soif et sa gourmandise dans une longue aspiration. Un tiers du verre a été éliminé. « Oups. » Elle le pousse de nouveau vers lui, l'innocence plein dans les yeux. « On est quittes, tu me siffles tout de toute façon. » Elle hausse les épaules, sans scrupule. « Il s'appelle Tommy. Il a 20 ans, je l'ai rencontré à une soirée. Il m'a invitée à partager la st valentin, on ira au cinéma et on reviendra à la maison ensuite. Il me ramène donc tu m'évites la crise cardiaque. » Elle lâche finalement pour le prévenir de ses projets, avant de savourer son milkshake avec cette même rapidité. « C'est bon ça. » Elle change de sujet, s'attendant à un discours de son père.