Le trouble m'agite lorsqu'on communique sur tes peurs et les miennes. J'essaye de comprendre ce qui t'a poussé à te diriger vers des confidences auprès de Judson. Plus les minutes s'écoulent, plus l'échange s'empreint de vérité et de franchise, et plus je me sens à la dérive. Mon monde s'écroule parce que tu lui retires toute la solidité sur laquelle reposait ma confiance éternelle à ton égard. Je me retrouve comme un con, à m'apercevoir que le mariage ne représente pas un idéal à atteindre à tes yeux. Comme un débile qui remarque après deux années de fiançailles que son homme n'est même pas comblé de cette alternative. J'ai envie de cogner contre les murs, de hurler un bon coup pour me décharger des frustrations que tu m'infliges - ou que ma naïveté me bombarde. « Mais au fond, ce ne sera jamais le bon moment ? » Avec tes paroles, je commence à croire que le mariage ne fait même plus partie de tes envies. J'ai juste besoin de l'entendre de manière claire et précise pour ne pas me rattacher aux espoirs. Autant claquer toutes mes convictions au point où nous en sommes. Tu me confies finalement ce qui te bloque, cette tendance à te sous-estimer et à croire que tu ne me mérites pas. « C'est quoi ces conneries ? » Je souffle avec hargne, parce qu'elle revient ronger mes entrailles lorsque je t'entends prononcer des raisons avec aussi peu de vérité. Elles sont stupides à mes yeux, comme si tu te cherchais des excuses probables à défaut d'en avoir une à m'apporter. Je ne peux pas supporter que tu penses ou dises ça, alors je me renferme, me laisse consumer par la rage. Quelques larmes restent coincées aux coins de mes yeux ; tu les sèches lorsque tu arrives à ma hauteur. Si au début je te laisse établir le contact, je finis par le fuir en me dirigeant dans la cuisine. Je me serre un fond de verre que je bois cul sec avant d'en reprendre, et tu t'appliques dans la même initiative. Je ne dis rien d'autre sur notre altercation, je suis seulement envahi par le désespoir.

J’avais tellement peur de voir la déception dans tes yeux que je n’étais pas parvenu à t’en parler. Je sais que c’était le parfait comportement d’un lâche. Mais mon instinct un peu trop protecteur s’était réveillé et j’avais refusé de te faire du mal. Je m’en foutais royalement de prendre des coups, de toute manière ce n’est pas comme si je ne les méritais pas. Mais je détestais faire souffrir les gens que j’aime. J’y serais bien obligé de toute manière un jour ou l’autre. On arrive enfin à en parler avec franchise. En tout cas j’avais finalement trouvé les mots sur mes incertitudes. Je croise les bras sur mon torse, non pas pour me protéger, mais pour ne pas m’écrouler, car j’ai l’impression que ma vie m’échappe. Je soupire et ta question m’atteint de plein fouet. « Franchement je ne sais pas. » Pourtant j’aimerais tellement te dire oui. Te dire que je serais enfin sûr de moi. Malheureusement, je n’ai pas le don de prévoir l’avenir, mais surtout je refuse inconsciemment de répondre réellement à cette réponse. Au fond de moi je suis bien l’ignoble personne, celle qui ne fait que blesser les autres. Je te confie une de mes plus grandes craintes. Je me renferme comme une huître à ta réponse. Finalement on allait se murer chacun de son côté dans nos remords et notre propre colère. Le résultat était finalement le même. Le problème, c’est que je ne touchais pas la vraie raison de ma réticence car je ne l’acceptais pas moi-même. Et tant que je n’avais pas fait ce travail sur moi-même je ne pourrais pas te l’avouer. Pourtant c’est plus fort que moi, j’ai besoin de sécher tes larmes avant que tu t’enfuies dans la cuisine, reprendre ce liquide doré. Je soupire, la conversation est bloquée, coupée, et on est bien incapable de surpasser cette tension, comme à chaque fois que l’on se dispute. Incapable de prononcer la moindre parole, je prends un verre avant de me diriger vers la baie vitrée pour regarder le paysage sans même le voir.

La douleur me transperce de toutes parts alors que la réalité de notre relation s'abat sur moi. J'ai mal au cœur de percevoir le mensonge dans lequel tu m'as plongé, et la vérité que je dois aujourd'hui affronter. Je réalise que tu n'as pas envie de ce mariage, de lier ta vie à la mienne, et mon monde s'écroule peu à peu. Mes convictions s'écroulent pour me laisser qu'un goût de déception amer auquel me raccrocher. Le navire qu'on a construit au fil des années se noie dans cet océan d'amertume. Tu propages la nervosité en moi, à tel point que je me verse un verre de whisky pour m'embrumer l'esprit. J'ai besoin que mes idées s'envolent, d'être légèrement étourdi pour retrouver un apaisement au creux de mon cœur. Ton je ne sais pas me brise, me déchire la poitrine en deux. Mes doutes deviennent concrets, et tu ne les démontes pas, au contraire tu les renforces par ton incertitude. J'ignore quoi te répondre sans que ma franchise ou ma rage n'imprègnent trop ma voix ou mes paroles. Je bois mon verre en silence, me terrant dans un mutisme pesant mais plus réconfortant que la crise de colère qui menace d'intervenir entre nous. Je te laisse te déplacer devant la fenêtre, pour observer notre jardin immense, avec ton verre à la main. Je ne tente pas de m'approcher de toi, ni de placer un mot qui pourrait te soulager. Je me referme complètement, la douleur étant trop vive. Et je décide de m'échapper à cette altercation muette pour éviter de maintenir ce froid. Je me resserre un verre puis commence à marcher à travers la cuisine. « Je vais dans mon bureau. » Je quitte la pièce puis monte les escaliers pour retrouver le cocon de mon bureau, le seul lieu où je peux trouver un certain réconfort à l'aide de mes crayons. Je t'avertis seulement pour te glisser un sous-entendu : ne pas venir, car j'ai besoin de regagner ma solitude. Et c'est ce que je m'applique à faire pour la soirée, avant de retrouver notre lit conjugal. Mais tu es déjà endormi, à mon plus grand bonheur.