C’était flou, la raison qui avait poussé Azur à accepter l’invitation de son ami ce soir. Elle ne savait pas pourquoi elle avait dit oui, sachant qu’il viendrait au bar, prendrait un verre, peut-être deux, et irait parler à la petite brune au fond de la salle qui lui envoyait bien trop de signaux subliminaux. À vrai dire, la brune pourrait tenir une affiche avec ‘vient me parler, t’es beau, on rentre chez moi ensuite’ que ça ne serait pas plus clair que maintenant. Comme de fait, une bière, John déserte Azur, la laissant seule au bar, un verre à la main. Peut-être que c’était pour ça en fait, qu’elle avait accepté son invitation seulement pour avoir une raison de boire, beaucoup, presque seule, personne ne la juger. Elle voulait endormir ses sens, ses sentiments qui prenaient trop de place depuis ce fameux soir. Elle voulait s’endormir, longtemps, retrouver cette sensation grisante de l’innocence, de distance, qui l’avait bien trop longtemps bercée dans un monde où elle pensait que plus rien ne pouvait l’atteindre. Celui où elle avait l’impression que le passé appartenait au passé, qu’il n’avait plus d’importance aujourd’hui. Cette sensation qu’elle ressentait avant de réaliser qu’elle n’était pas passée à autre chose, qu’elle avait simplement mis sur pause sa rancœur et ses remords. Alors ce soir, elle voulait oublier. Complètement. Si l’idée de boire seule était attrayante, la blonde avait un autre but en tête : celui de ne pas rentrer seule. Parce que seule, elle pensait, trop, trop longtemps, alors il lui fallait un moyen de déconnecter, de se donner une pause mentale, puisque son esprit ne cessait de courir dans tous les sens et qu’elle était épuisée, désespérée de la faiblesse dont elle faisait preuve. Le patin l’appelait, mais même après avoir regardé les siens pendant quelques minutes, Azur décida d’opter pour un moyen moins drastique d’oublier. Elle allait redevenir l’ancienne elle. Cette Azur qui ne se cachait pas derrière son deuxième prénom la couvrant d’un voile d’innocence qui ne suffisait pas à la protéger.  Cette Azur qui savait que de donner son corps à un homme lui suffisait pour ne penser à rien d’autre le temps que durait ce contact. Pourtant, les épaules voutées, elle se doutait bien qu’elle ne ferait envie à personne. Son air triste et son corps frêle ne jouaient pas en sa faveur, mais elle s’en foutait. Décidée à ne plus ressentir cette sensation désagréable de ne commettre que des erreurs, de n’être qu’une erreur, elle releva la tête et commanda un verre à la barmaid. « Un martini » ce n’était pas assez sucré pour la faire revenir trop en arrière. Que la soirée commence.

Seule dans un bar, Azur repensait à la dernière fois qu'elle s'était trouvée dans cette situation. Ça datait d'avant l'accident, forcément, puisqu'elle n'avait plus eu d'amis ou de compagnons de sorties avant de poser les pieds à Dewsbury. À Londres, elle n'avait envie de rien, si ce n'était que de disparaitre. Et l'idée qu'elle puisse retomber sur des fantômes de son passé, que ce soit des filles du patins ou n'importe qui la connaissant d'avant, ça la rendait malade. La terrifiait même. Azur n'était qu'un fantôme dans sa propre vie, et après des années dans une cellule confinée elle voulait se sentir en vie. Vivante. Et pour cela, il lui fallait un homme, parce que rien n'était meilleur que des mains fortes, voir un brin brusques, qui s'aventuraient sur sa peau opaline. Elle leur offrait la douceur si eux pouvaient se priver de la couvrir de douces attentions: elle n'en voulait pas. Pourtant, toute cette confiance de l'ancienne Azur, elle ne pensait plus la posséder. Elle était plus vieille, beaucoup moins jolie, moins confiante. Elle dégageait un aura de fragilité qui l'écoeurait, mais il fallait croire que nos vieux démons ne disparaissent pas: personne ne change réellement. « La même chose, je paye pour nous deux. » Surprise, la blonde relèva le regard vers le nouvel arrivant. Déjà ? Se dit-elle alors que son regard croisa le sien. Bleu clair, comme un ciel en plein jour. Comme un ciel dénué d'étoiles. Parfait pour elle. « Merci. » La belle accusa l'offre du nouvel arrivant de lui offrir son verre: elle n'allait pas dire non à de l'alcool gratuit, surtout pas quand elle ouvrait la porte de lui repayer de mille manières plus tard. « Comment se fait-il qu'une femme aussi belle que toi se retrouve seule ? » Et la voilà qui ne pouvait retenir un petit rire. Tiraillée entre l'envie de jouer la bécasse sans cervelle qui rendrait la tâche de finir la soirée avec lui beaucoup plus facilement, elle se garda bien de jouer cette carte. « C'est ta meilleure phrase d'approche ? » Un sourcil relevé, Azur se saisit du martini fraichement posé sur le comptoir pour en prendre une petite gorgée. « Et je ne suis plus seule, si maintenant t'es là et qu'en plus tu m'offres un verre. » La blonde termina en riant, consciente que finalement, la carte de la pimbêche ne sera pas complètement hors du jeu...

Les secondes passent et elle se sent reprendre de l'assurance. Pourquoi aime-t-elle tant attirer de l'attention ? Ça ne passe pas avec le temps, ça lui donne l'impression qu'elle pourrait conquérir n'importe quoi, n'importe qui. Ça lui fait comprendre que son destin tragique n'a pas eu raison d'elle, et que même si lui ne veut pas d'elle, il ne représente pas la totalité de la gente masculine. Ouais, Azur aime l'attention, ça lui permet de l'oublier quelques secondes et de ne pas se sentir comme une moins que rien. Même si pour certain, son comportement volage fait d'elle une moins que rien, elle n'en a rien à foutre. Elle oublie, et c'est tout ce qu'elle demande.

Le martini aux lèvres, la blonde dévisage celui qui lui est apparu comme sur un plateau d'argent. Tout ce qu'il dégage lui fait envie. Comme elle, il ne cherche pas une histoire au début cocasse où ils pourront raconter à leurs enfants " alors, j'ai connu votre mère dans un bar, c'était assez comique en fait, seule, elle avait l'air si triste..." Non. Hors de question. Ils ne sont pas là pour de l'amour et c'est assez clair. Sauf qu'Azur, elle veut quand même plus que des phrases bateaux qui servent à savoir si le courant passe bien entre elle et sa proie. Elle veut plus que ces phrases qui retardent le fameux 'tu veux pas qu'on aille ailleurs ?' Parce que son corps entier réclame des caresses, ses caresses, mais faute de l'avoir lui, faudrait se contenter d'un autre. Encore une fois. Mais ce soir, elle sent qu'il y a un truc, que ça sera probablement pas comme avant. Même si elle est rouillée, elle ne veut pas se tromper. Bien trop longtemps qu'elle n'est pas retombée dans ses vieilles habitudes, hors de questions qu'elle se mette à courir vers de précipice qui lui offrirait une pâle copie de la satisfaction charnelle qui la ronge.

Il lui dit qu'il va lui offrir un autre verre. Tant mieux. Il lui dit qu'elle a l'air déprimée, ce qui a pour effet de lui faire serrer un peu son verre. Peut-être n'a-t-elle plus ce qu'il faut pour plaire ? Sauf que l'inconnu se reprend et elle se détend. Tout va dans le sens qu'elle souhaite. « Je te retourne le compliment » réplique-t-elle en posant sa main sur la sienne. S'il y a bien un truc qu'elle n'a pas oublié avec toutes ces années à changer trop souvent de partenaire, c'est que si elle arrive à initier un contact physique, l'affaire est presque déjà dans la poche. « Sinon, je crois qu'il faut bien que je te le demande, pourquoi tu viens m'offrir un verre ? » Sourcil relevé, elle reporte son martini à ses lèvres et espère que son interlocuteur confirmera ses intentions. Elle ne veut pas rentrer seule, mais bien avec lui.

C'est plus facile qu'elle ne le pense. Le mec, clairement il ne veut que l'amener dans son lit, et c'est tant mieux. Leur but partagé ajoute une certaine touche de douceur à leur échange : il n'y a pas de mensonges, d'hypocrisie, de fausses promesses. Ils sont seulement deux adultes qui veulent oublier, s'oublier, dans les bras d'un autre. Et c'est tant mieux. Surtout quand il lui avoue clairement ses intentions, la blonde a un frisson. Prénom grec. Encore un. C'est à croire que ces dernières années, elle ne partage que son lit avec des hommes au prénom de cette catégorie. Jamais deux sans trois, mais si Achille suit la tendance, le moment passé en sa compagnie sera très agréable. « Ok. » C'est tout ce qu'elle répond, mais il ne l’entend probablement pas, déjà loin. Ses lèvres sur son front, ça a suffi à lui faire comprendre que c’est une chance qui ne se refuse pas. Hochant lentement la tête, Azur finit son verre d'une traite. Une sensation s'empare de son bas ventre, comme si tout son corps lui disait de faire attention, que ce n'est plus pareil, qu'elle n'est plus la même, qu'elle a toutes ces cicatrices qui lui gâchent la vie, mais elle tait ces supplications en passant lentement sa langue sur ses lèvres pour y délecter les dernières gouttes d'alcool. Joignant le geste à la parole, elle saute en bas de ton tabouret et se saisit de sa veste posée sur le dossier de sa chaise. Il lui a gentiment offert ses draps, ses bras, la blonde ne compte pas s'éterniser une seconde de plus dans ce bar. Il est difficile de croire qu'elle n'est pas une salope après avoir accepté si facilement l'invitation, mais ce n'est pas juste l'idée de se faire sauter qui l'attire. Il lui a dit qu'il l'aiderait à oublier, et dieu sait à quel point elle en a besoin. Et ce soir, Azur elle décide de faire confiance, parce qu'elle n'a rien à perdre, parce qu'elle souhaite renouer avec cet aspect téméraire de sa vie, parce qu'elle sait que ça l'énerverait tellement et elle voit ça comme une vengeance personnelle. Oui, c'est enfantin, mais elle s'en fout, elle ne le dira jamais à personne. Alors elle marche vers la porte du bar, rejoignant celui qui n’a pas eu à l’attendre très longtemps.

« C'est bon, on va chez toi. » Dit-elle une fois à sa hauteur, ponctuant cette phrase d'un petit sourire qu'elle veut accueillant, chaleureux presque. La main tendue, elle invite Achille à la suivre pour quitter cet endroit si peu éclairé. Ce qu'il fait, d'ailleurs, sa main se glissant dans la sienne pour un contact pas peu romantique pour deux sous. C'est un truc que la belle a appris au cours de ses multiples et lointaines années de drague : quand il y a contact, il y a conclusion. Poussant la porte du bar pour inviter son compagnon à en sortir, elle ajoute: « Azur. Moi c'est Azur. » Pas question qu'il lui tienne la porte comme une princesse, elle n'est pas ici pour de la galanterie. Le trajet se fait en silence après, pas question qu’elle lui saute dessus en pleine rue, elle veut faire ça bien. Elle veut faire ça au moment opportun où ils n’auront pas besoin de se retenir de quoique ce soit. Alors une fois qu’Achille referme la porte de son appartement derrière elle et que la pièce se remplit déjà de tensions qui sera assouvie par leurs futurs ébats, Azur décide de prendre quelques secondes pour le mettre en garde. « J’ai qu’une condition. Je ne pose pas de questions, et tu ne m’en poses pas non plus. » Ce qu’il fait de sa vie, son âge, ses démons, ses problèmes : ça ne les intéresse pas. Elle pense évidemment à cette cicatrice dégueulasse qui longe toute sa jambe droite, mais elle se dit que de toute façon, ce n’est pas sur sa jambe qu’il posera son attention. Il n’a qu’à approuver à cette simple requête et elle sera toute à lui.

Une seconde passe. Azur attend la réponse de celui qui sera peut-être sa salvation pour les heures à venir. Heureusement, il accepte sa proposition et le reste se mets en marche tout de suite après. Ses lèvres sur les siennes, ce n'est pas doux, ce n'est pas romantique. Ce n'est pas plein de promesses et même si Azur, elle aime qu'on lui dise qu'elle est la plus belle, qu'elle pourrait prétendre au titre de femme qui vous fait oublier toutes les autres, elle n'a pas envie qu'Achille lui fasse ce genre de déclaration. Elle n'a envie de les entendre que d'un seul qui semble avoir trouvé le bonheur dans les bras d'une autre. Alors elle ferme les yeux un peu plus fort, cherchant à effacer toutes ses pensées intrusives. Tout ce qui est hors de l'appartement n'existe pas. Elle ne veut pas que ça existe, et quand elle sent les mains rudes de son partenaire s'emparer de sa peau délicate, elle s'abandonne. C'est facile pour elle, elle l'a fait tellement souvent, qu'à force de se bercer d'illusions elles deviennent réalité. Il respecte sa condition de ne pas poser de question et elle lui rend, passant sous silence les marques qui ornent sa peau. Sans savoir pourquoi, ça la rassure, peut-être a-t-elle enfin trouvé un être sur cette terre qui peut comprendre ce qu'elle a vécu, parce que pour se retrouver aussi blessé physiquement, mentalement aussi on doit y avoir passé. Sauf qu'Azur elle n'apporte pas d'attentions à tous ces stigmates qui ornent la peau de son amant du soir. Parce que ne pas poser de question, c'est ne pas s'y attarder. Ces deux êtres en quête d'oubli ne sont pas définis par leur passé et par ses marques.

Essoufflée, la blonde reste étendue quelques secondes sur le lit, tentant de reprendre son souffle. C'était... C'était vraiment ce dont elle avait besoin. C'était parfait pour elle. À ses côtés Achille semble reprendre ses esprits lui aussi, mais Azur sait que ce n'est qu'une question de secondes avant que le rideau se baisse. Le spectacle est finit et il est hors de question pour elle qu'elle s'attarde ici. Quand elle le voit se relever pour un boxer propre, elle prend appui sur ses coudes et commence à scanner la chambre, cherchant où ses sous-vêtements ont bien pu attrerir.  La voix d'Achille la tire de ses recherches quand il lui avoue que normalement il envoie chier ses conquêtes. Sans trop savoir pourquoi, Azur, ça la fait sourire. À croire que cet homme n'est tombé que sur des femmes en quête du prince charmant auparavant. Elle le laisse continuer, se levant pour saisir ses vêtements et commencer à se rhabiller. « T'inquiète pas. » Elle passe son t-shirt et de saisit de ses jeans toujours au sol. « Je comptais pas rester, je fatigue aussi. » Un sourire, elle lui offre sans compromis. Il lui a fait oublié et pour ça, elle est reconnaissante. Vraiment. Peu de temps après, elle est habillée, prête à retourner chez elle et à continuer cette vie trop pleine de tourments et d'incertitudes. « Je te laisse mon numéro, tu m'appelles quand tu veux. » Et sans vraiment demander la permission à Achille, elle se saisit d'un crayon et d'un papier trainant près de l'entrée et y gribouille Azur ainsi que son numéro. Sans un mot, elle ouvre la porte, lui jette un dernier regard, sourit, et part.