Comme toujours j’étais parfaitement à l’heure du rendez-vous indiqué. Je détestais être en retard, même d’une simple minute. Ça avait tendance à me mettre en rogne pour le reste de la journée. Je rentre donc dans le bar avec la chemise contenant le travail dont on devait parler avec des annotations inscrites à la main. Je n’étais pas très doué avec l’ordinateur, et je préférais travailler avec le papier, malheureusement l’ère informatique prend de plus en plus de place. Je remarque une silhouette installée à l’endroit que l’on avait convenu. Je m’avance donc directement à la chaise libre avant de m’installer dessus. « Bonjour. » Je fais un simple signe au serveur pour signifier que je veux la même chose que mon voisin. Cela était quand même un peu étrange de se rencontrer alors que l’on conversait normalement par mail pour les rectifications ou ajustements des affiches que je te commandais. Mais là, mes requêtes devaient être faites de vive voix, et j’avais remarqué que tu étais également de Dewsbury, l’occasion était donc que trop belle. Je pose la chemise sur la table avant d’en retirer deux feuilles : ton travail et la feuilles avec mes annotations. Ce n’était pas pour être méchant, ni autre chose. Mais j’étais assez méticuleux, et j’aimais le travail bien fait. Avec toi, j’étais souvent parfaitement satisfait du travail réalisé, je n’ai jamais eu à me plaindre et les ajustements étaient vraiment infime. Là c’était bien en-dessous de ce que tu m’as habitué comme travail. « Euh, je viens vous voir concernant l’affiche pour la conférence qui a lieu dans deux mois… » Je mordille ma lèvre inférieure, si j’étais assez exigeant dans mes conditions c’était bien pour éviter ce genre de situations qui me mettait mal à l’aise. « Elle ne me convient pas totalement… Je voyais quelque chose d’un peu moins traditionnel, plus.. original. Ca me semble simple. » Les couleurs étaient tristes, et j’avais l’impression que le travail était bâclé, mais je tournais autrement, j’aurais détesté qu’on me dise cela, et à voir tes sourcils froncés, je me dis que tu penses pareil.
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Tu m'as proposé de se rencontrer sur Dewsbury puisque tu as emménagé en ville récemment. Je te connais depuis plusieurs mois maintenant, car je te crée des affiches pour tes conférences à l'université. On s'échangeait toujours en mail, sans avoir une idée d'à quoi ressemblait l'autre. Alors telle est ma surprise quand je croise un homme élégant, bien fringué, qui m'adresse un léger sourire. On joue aux professionnels, on se serre la main pour se saluer. « Bonjour. » Tu m'as précisé que tu avais des détails à modifier pour que le projet te comble de satisfaction, alors j'ai accepté sans rechigner. C'est mon rôle de digérer les critiques, de rendre une illustration qui convient au destinataire. Je pourrais bosser des heures entières et supplémentaires pour donner un rendu réjouissant. Je n'ai pourtant pas le cœur de recevoir les défauts de mon affiche en pleine gueule en ce moment, alors que ma créativité peine à se transférer dans mon esprit. Je travaille des heures pour un croquis fade, d'une simplicité agaçante. Aucun des traits que je dessine ne me convient. J'ai cette douleur qui s'infiltre au creux de mes entrailles et de ma poitrine, m'étouffe de manière constante, à tel point que chaque acte de la vie me paraît exténuant. Je n'ai plus la force de penser, bouger, réfléchir. C'était un supplice de venir dans ce bar pour te laisser me faire comprendre que mon travail n'est pas celui que je rends habituellement. Tu me fais part de tes envies en glissant mon affiche et tes annotations de ta pochette. J'écoute attentivement ce qui cloche sur mon dessin. « D'accord, je comprends. Je m'excuse pour tous les désagréments rencontrés. » Je fais preuve de politesse et professionnalisme, en esquissant un léger sourire courtois. « Je peux jeter un œil à vos notes ? » J'attrape la feuille à ton signe de tête positif et je lis les commentaires apposés dessus. Autant dire que les critiques fusent. Je hoche la tête d'un air compréhensif à chaque ligne, pour dévoiler mon accord. Je sais que tout est à refaire, je n'ai pas l'intention d'échapper aux reproches, mais plutôt de trouver une solution. « Très bien, j'en tiendrai rigueur pour les changements. » Je repose le papier sur la table avant de te scruter de manière franche. « Je vous mettrai en contact avec un collègue, qui possède une fibre artistique se rapprochant de la mienne. Il est très doué et pourra vous rendre un autre exemplaire dans une semaine. Cela vous conviendrait ? » Je t'interroge, sans admettre que je me sens incapable de corriger les erreurs et de réaliser ce que tu concevais. Mon esprit est trop dissipé et tourmenté pour avoir la capacité de répondre à tes exigences. Je compte me mettre en arrêt pour légère dépression, prescrit par mon médecin traitant, afin de me libérer cette difficulté à accepter que plusieurs clients se soient plaint de mon travail.

Je ne sais pas à quoi tu ressembles. Et ce n’est pas vraiment ce qui m’importe en ce moment. Alors quand je fais face à un grand brun aux yeux sombres, qui semble dégager une aura rassurante, je n’en suis guère étonné. J’avais perçu cela dans nos échanges. Tes yeux sombres étaient curieux et semblaient percer la carapace de celui en face. En tout cas ils étaient très hypnotisant. Une poignée de main franche mais quelque peu moite m’indique que tu es non seulement professionnel, mais pas tout à fait à ton aise en ce moment. Je hausse simplement un sourcil avant de m’installer. J’espère que tu ne voies pas mon rendez-vous comme un moment inopportun, où je ne viens que pour te balancer à la figure nombre de reproches. Ce n’est pas mon genre, même si je suis très maniaque et que je ne laisse pas les choses au hasard, je ne suis pas là pour descendre gratuitement la personne en face de moi. Juste pour essayer de trouver un consensus qui nous va à tous les deux. Tu t’excuses de ton travail qui ne me convient pas. Je hausse simplement les épaules. « Pas de soucis. Ça peut arriver à tout le monde. » Il en faut bien plus pour me faire dire que ton travail est plus que décevant. Et puis, peut-être que tu as des circonstances atténuantes, je ne peux pas le savoir. J’aime que chacun est le bénéfice du doute. Même si en droit tout est tracé et écrit, cela dépend également de la vision qu’à la personne du code civil, et de l’interprétation qu’il en fait. Ce qui demande des heures et des heures de recherche. Tu me demandes mes notes et je te les tends volontiers. « Allez-y mais je ne sais pas si c’est très compréhensif. » J’avais tout noté en vrac, sans vraiment de tri, c’était juste pour les relire et te dire ce qui n’allait pas, mais c’est peut-être plus simple ainsi. « J’en suis persuadé, je ne vois pas pourquoi ça serait différent des autres fois » Je souris, il n’y avait rien de personnel envers toi. Et j’adorais toujours autant le boulot. Tu insinues donner le travail à quelqu’un d’autre. Je fronce les sourcils avant de secouer négativement la tête, même si ton visage semble dire que tu es certain de cette décision. « Hum. J’avoue que je préférerais que vous vous en occupiez. Je ne veux pas paraître médisant ou autre, mais quand j’ai l’habitude de travailler avec quelqu’un, je préfère aller jusqu’au bout avec lui. Et je n’ai jamais été déçu de vos travaux. Si je n’avais pas voulu travailler avec vous, je ne serais pas là à essayer de trouver quelque chose qui nous convient à tous les deux. » Et je suis sûr que de toute manière je préfèrerais ton travail.

La pression me tord légèrement le ventre. J'ai l'habitude de ces rendez-vous professionnels et il est rare que je laisse l'angoisse envahir mes tripes. Je suis plutôt de nature confiant et optimiste, étant donné qu'il est rare que les critiques soient déclarées par les clients. Certaines fois il faut corriger quelques détails, mais le contenu est généralement satisfaisant à leurs yeux. En ce moment pourtant, je me trouve dans une période creuse et délicate où mon esprit créatif ne semble pas vouloir fonctionner. Mes mains ne suivent pas le mouvement désiré, et mon imagination m'échappe pour laisser place à un vide persistant. Alors j'ai conscience que mes travaux actuels ne valent pas d'être achetés et que peu coïncident réellement aux exigences des destinataires. Comme pour toi, que je connais comme un homme minutieux et perfectionniste, faisant attention aux moindres défauts. Tu as listé tous les changements à effectuer, que tu me permets de lire d'un œil attentif. Je tente de ne pas dévoiler mon trouble d'avoir manqué tes critères dans mon œuvre. Ce ne sont pas forcément tes critiques subtiles qui me froissent, simplement l'idée de faire de la merde. J'ai un sentiment de frustration qui m'enveloppe le corps. Je te fais comprendre que je ferai suivre le dossier à un de mes collègues qui se chargera de te contenter, mais tu sembles peu réceptif à cette proposition. Tu t'entêtes à refuser, à préférer que ce soit moi. « Je conçois que cela peut paraître contrariant, mais je vous promets de confier seulement ce travail et de réaliser les suivants. » Je reprends pour tenter de te convaincre, espérant que tu finiras par accepter. Mon regard est franc, pénétrant, je n'ai pas l'intention de lâcher les projets que tu me donnes, surtout que j'apprécie créer pour quelqu'un d'aussi pointilleux que toi. « J'ai l'intention de prendre un congé, je n'aurais pas le temps de finir cette illustration. Je préfère la transmettre à mon collègue. Ne vous en faîtes pas, il est aussi professionnel et perfectionniste que moi, vous n'aurez pas à vous plaindre. » J'insiste, sans avouer que je me sens vraiment incapable de réaliser cette œuvre comme ton esprit l'imagine. C'est trop pour moi.

L’idée de mettre un visage sur un nom était aussi pour cela que j’avais demandé un rendez-vous. J’aimais savoir à qui je parlais par mail, quand cela était possible. J’avais donc saisi l’occasion en vol. En plus nos échanges avaient toujours été très sympathiques. Tu semblais être au moins aussi minutieux que moi, ce qui m’avait conforté dans mon choix. C’était assez limpide quand je devais faire une affiche que c’était à toi que je la commandais. Je n’avais pas besoin de trop expliciter ce que je désirais, c’est comme si tu lisais dans mes pensées quand j’évoquais un projet. C’était donc très agréable de travailler avec toi. C’est pourquoi je trouve que cette nouvelle ébauche d’affiche était très fade comparé à votre travail plutôt original. C’était ce qui était surprenant, car après je ne suis pas un spécialiste, mais l’affiche reste néanmoins très belle. D’ailleurs dans mes annotations, il n’y a pas un reproche sur la beauté de l’affiche, mais plutôt sur le fait que ça ne correspondait pas vraiment à mes critères, ou pas totalement. Tu évoques l’idée quelque peu désagréable de confier ce travail à un collègue. Je n’ai jamais vu aucun de ses travaux, et mon niveau d’exigence est tel, parfois, que travailler avec un inconnu peut s’avérer catastrophique. Pourtant je sens que tu ne vas pas flancher sur ce point. « J’aurais vraiment aimé que ce soit le fruit de votre travail… Je le connais et j’ai une parfaite confiance en vous. » j’essaye de te faire comprendre que je ne t’en veux pas pour les quelques retouches à faire, et que je sais que l’on finira par trouver quelque chose qui m’ira totalement. Mais tu sembles ancré dans cette idée, et pour une fois je dois savoir faire preuve d’indulgence. « C’est comme vous voulez, je ne vais pas vous forcer, mais je trouve cela vraiment dommage. Et si jamais je dois me plaindre, je sais à qui je le ferais. » Je remarque bien que tu sembles à dix mille lieues de ton travail, et tu sembles également assez atterré, fatigué pour que je n’insiste pas trop. « En tout cas, ça ne change rien à ce que je pense de votre travail, et j’espère revoir vos œuvres très rapidement. » Travailler avec un autre que toi ne doit être que provisoire, j’ai toujours été pleinement satisfait de ton travail pour passer à quelqu’un d’autre.

On se retrouve dans ce café pour aborder le projet que je devais réaliser pour toi. Tu possèdes beaucoup d'exigences mais tu n'as normalement pas vraiment de rectifications à me transmettre. J'ai réussi à comprendre tes désirs au fil du temps, même si ça été plus complexe de se connecter aux premiers abords. Je n'ai jamais eu affaire à quelqu'un comme toi, aussi pointilleux pour une simple affiche de conférence. Tu vérifies tous les détails de l’œuvre, tu remarques les petites touches qui ne coïncident pas avec l'idée coincée dans ta tête, rendant ardu l'obtention de ta satisfaction. Je ne perds pas espoir de te contenter, alors je propose une alternative, celle de confier le projet à mon collègue. Au début tu sembles peu réceptif à cette idée, mais je persévère et tente de te convaincre. Tu es à demi motivé par l'idée, et je continue d'énoncer cette possibilité pour te soutirer ton accord. « Je le comprends, mais mon collègue fera tout en son pouvoir pour satisfaire vos exigences et régler les détails qui clochent. » Je me sens incapable de réaliser cette affiche dans des circonstances aussi chamboulées, alors je passe la main pour une fois. Tu ne sembles pas m'en tenir rigueur, à mon plus grand soulagement. « Oui n'hésitez pas à vous adresser à moi si vous n'êtes pas convaincu. » Je répondrai à tes messages ou appels avec plaisir, même si tu devais émettre de nouvelles critiques sur les travaux du jeune à qui je confie cette tâche. « Je m'occuperai normalement de la prochaine, en tout cas je l'espère. » J'esquisse un léger sourire poli, puis attrape ma tasse de thé entre les mains pour boire une gorgée. Je ne sais plus quoi dire, j'ai l'air d'un con. J'ai seulement envie de rentrer chez moi, m'affaler sur le canapé, devant un programme stupide ; une bière dans une main, une part de pizza dans l'autre. Ce n'est pas contre toi, mais la présence humaine me devient insupportable, et je me force à discuter à chaque minute. Tu es un client fidèle, régulier, je ne pouvais pas me permettre d'échapper à ton invitation, surtout si tu n'étais pas satisfait. Mais maintenant que les détails sont réglés, je ne parviens pas à me résoudre de rester en ta compagnie. Je veux juste partir. « Bon vous m'excuserez mais je dois faire quelques courses. N'hésitez pas pour tout souci. » Je laisse glisser le mensonge, sans oser me plaindre de ma douleur ou expliciter le programme merveilleux qui m'attend.

C’était quand même différent de se rencontrer plutôt que d’échanger par mail. Je dois bien avouer que j’appréciais énormément pouvoir te rencontrer de manière réelle. Mettre un visage sur un nom était vraiment agréable. Bizarrement je n’étais pas surpris par ton apparence, sans même savoir à quoi tu pouvais ressembler, mais mon imagination pouvait parfois être débordante, et donc j’avais tenté d’imaginer ce à quoi tu pouvais ressembler. Mais tu étais encore plus intriguant et mystérieux, et tu détenais sans aucun doute un certain charme. Mais nous n’étions là que pour parler travail et donc je devais me reconcentrer et arrêter de divaguer. Je ne suis pas très motivé à l’idée que tu confies ton travail à quelqu’un d’autre qui ne connaît pas vraiment qui je suis et le niveau d’exigences que je peux avoir. Mais si tu le prépares assez bien, peut-être qu’il pourra supporter ça, je l’espère en tout cas, je ne veux pas te mettre dans une position délicate. « Je vais tenter de ne pas être trop exigeant, je ne voudrais pas l’effrayer pour le moment. » Et je ne voulais pas te mettre dans une mauvaise posture. Tu semblais avoir besoin de ce break, je le vois dans tes yeux, l’épuisement que je vois n’est pas simulé. Alors c’est ce qui m’a fait abdiquer, ce que je ne suis pas de nature à faire, en temps normal. « Oui, si ça ne fonctionnent pas, je reviendrais vers vous, mais je vais tâcher de ne pas être trop intrusif. » Je tente un sourire rassurant. J’allais m’adoucir un peu, mais simplement parce que tu me le demandes, et que tu as toujours été très compréhensif avec moi. Alors je pouvais donner un peu de leste, et accepter de travailler avec quelqu’un d’autre, mais ça me coûtait, moi qui aimait bien mes petites habitudes. « Prenez votre temps je n’en aurais pas besoin tout de suite, enfin je pense. » En tout cas il n’y a pas d’énormes conférences après celle-là, du coup, je me contenterais de cette affiche, dont je ne mettais jamais de date ou de lieu pour pouvoir justement la réutiliser quand bon me semble. Et si tu avais besoin de temps, et bien j’allais devoir faire avec. Je n’ai pas de nouvelles remarques à te confier, mais j’espère néanmoins que je n’ai pas été trop sec, trop contrariant. Ce n’est jamais agréable de recevoir des remarques, moi-même j’ai du mal avec ça, enfin comme tout le monde. Mais ça n’enlevait rien à ton talent. Et je comprenais ton manque d’inspiration, tu semblais avoir des difficultés dans ta vie personnelle, et je sais combien cela peut envahir tout notre quotidien. Tu as apparemment des choses à faire, alors je ne m’attarde pas, non plus. Finissant ma tasse. « D’accord, je vous souhaite une bonne journée. » Je te laisse te lever avant de te tendre la main pour te saluer. Je profite d’être dans ce café pour recommander un thé. Tu avais raison, ils étaient très bons.