Les yeux grands ouverts, ce qui lui donnait l’air d’un hibou, Sam ne parvenait pas à s’endormir. Elle venait tout juste de rentrer du boulot, à à peine sept heures du matin; elle avait eu un dure quart. Cette nuit-là, les urgences avaient débordé. C'était comme si tous les accidents étaient arrivés en même temps. Elle avait passé la nuit à courir à gauche et à droite, devant s’occuper d’une panoplie de patients aux symptômes variés. Elle n’avait même pas retiré ses vêtements, même pas enlevé ses bijoux; la jeune femme s’était affalée sur son lit comme si elle n’avait pas dormi depuis des lustres. Et pourtant, la voilà qui n’était pas capable de fermer l’oeil. L’adrénaline coulait toujours dans son sang; son coeur était encore prêt pour la prochaine course. Décidant de céder à l’insomnie, elle attrapa son portable pour se mettre à naviguer à travers ses différentes applications. Elle n’avait pas la force de se lever, ni la capacité de s’endormir. Elle opta donc pour s’occuper autrement, tant qu’elle demeurait cloitrée au lit comme une malade. Elle visionna la vidéo de son petit-cousin qui jouait avec son précieux petit joujou qui ne le quittait jamais. Elle l’adorait comme s’il était son neveu, et ce, même si elle ne le voyait pas souvent. Aiden vivait à Glasgow avec sa mère, la cousine de Sam. Elles se voyaient pratiquement toutes les semaines lorsque Sam vivait à Glasgow, ce qui lui avait permis de développer une relation très serrée. Le sourire aux lèvres, Sam regarda la vidéo plusieurs fois, se disant qu’elle devrait leur payer une petite visite un de ces quatre.
Alors qu'elle n'attendait pourtant personne, on toqua à sa porte. La jeune femme posa son portable là où il se trouvait quelques instants plus tôt. À son grand malheur, elle fut contrainte de se lever. Contrairement à elle, Azur n’était pas encore rentrée du boulot et donc, elle était la seule qui pouvait aller répondre. Poussant un long soupir, elle se tira du lit et marcha jusqu’à l’entrée. Lorsqu’elle ouvrit la porte, elle découvrit Achille. Sam n’eut à peine le temps de lui dire bon matin qu’il lui avait dit « Faut qu'on parle ». Une étrange sensation parcourut le corps entier de Sam. Comme si de millions de petits poux traversaient son corps pour lui sucer tout le sang qu’elle avait. Elle ne se sentait pas bien, elle se sentait faiblir. Elle savait qu’il s’était passé quelque chose avec Ethan. Le visage qu’affichait Achille ne pouvait dire autrement. Elle le fit entrer en demeurant silencieuse, dépourvue de ses moyens. Elle attendait qu’il crache le morceau, prête à percer le calme de l’appartement de ses sanglots déchirants. Elle le voyait tenir dans ses mains une bague avec un imposant caillou dont la brillance aveuglait la jeune femme, qui avait déjà les larmes aux yeux. Tout demeurait inexpliqué et elle ne pouvait qu'attendre d'avoir des réponses.

La simple vue d’Achille, une bague de fiançailles entre les mains, semait l’émoi chez la jeune infirmière. Ses jambes tremblaient et elle avait l’impression que plus les secondes avançaient, plus sa vue se brouillait. Suivant son invité, dont la présence était bien malheureuse, Sam prit place sur le fauteuil. Elle déposa ses mains tremblantes sur ses cuisses et posa ses grands yeux bleus sur Achille, prête à entendre ce qu’il avait à dire. Elle demeura silencieuse, préférant garder son énergie pour les larmes qui allaient la dévaster comme une bombe nucléaire s’abattant sur son coeur. Lorsque le militaire prit la parole, le coeur de Sam manqua un battement. Elle s’apprêtait à apprendre la terrible nouvelle. Son pire cauchemar s’était matérialisé. Elle savait qu’en s’engageant dans l’armée, Ethan encourait un risque d’y laisser sa vie. La jeune femme avait toujours gardé espoir que cela n’arriverait pas, que sa mère veillerait sur son amoureux et le protégerait de ses ennemis. Toutefois, elle savait bien que le risque subsistait, que la mort pouvait s’abattre comme la mousson. Doucement, Achille lui glissa la bague sur son annulaire gauche. Les yeux remplis d’eau, la femme posa son regard sur l’imposant bijou dont la vue était à la fois impressionnante et mélancolique. « Je sais que tu aurais dit oui. Tu l'aimais trop », lui dit Achille en s’exécutant. Les larmes commencèrent déjà à tracer leur chemin sur les joues rosées de la jeune femme. Elle ferma les yeux un instant, se priant de se réveiller de cet horrible cauchemar. Mais rien ne pouvait la tirer de cette hantise qui lui pressait le coeur de la plus machiavélique des façons. « Comment… », souffla-t-elle entre deux sanglots. Elle n’avait pas réellement envie de savoir, car elle savait que le récit de sa mort lui briserait profondément le coeur. Mais une partie d’elle avait besoin de l’entendre, besoin de savoir qu’il n’était pas mort vainement... qu’il était décédé en exécutant le métier qui le passionnait. « On s'est battu, et puis... Puis y'a un de ses types qui a essayé de me tirer dessus. J'ai pas eu le temps d'avoir un réflexe. Ethan m'a poussé, et il s'est pris la balle. En plein coeur ». Ses mots eurent l’effet d’un coup de fusil qui, comme Ethan, traversa son coeur. À la place de la poitrine, elle avait un trou béant. Son coeur s’était envolé pour rejoindre son amoureux, qui, dans les cieux, pouvaient enfin se reposer pour l’éternité. Elle fut soulagée d’entendre qu’il n’avait pas souffert, mais ne pas avoir pu lui dire au revoir demeurait difficile à avaler. Car même si elle lui disait chaque jour qu’elle l’aimait d’un amour surdimensionnel, rien ne pouvait remplacer le fait de ne pas lui avoir dit au revoir une dernière fois. Et là, Sam s’affala. Tout son poids la quitta; elle n’était plus rien d’autre qu’un morceau de soie. Elle posa sa tête sur la poitrine d’Achille, laissant échapper de déchirants sanglots. Elle avait mal, terriblement mal. Elle se sentait revivre la douleur qu’elle avait ressenti quand sa mère était décédée.
À ce moment-là, elle avait besoin d’Achille. Pas l’Achille avec lequel elle avait eu une histoire compliquée, mais l’Achille qui, au fond, avait un grand coeur. Elle avait besoin d’un ami.